Des principes pour l’efficacité et le plaisir du jeu en basket

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Pour Gilles Renaud, professeur d’EPS à l’UFRSTAPS de Rennes, le travail collectif d’élaboration de ce numéro de la revue Contre Pied a fait émerger au sein des contributeurs un ensemble de principes fondant une conception commune de l’enseignement du basket-ball en EPS. Il en explicite les contenus.

Ces principes s’inscrivent dans une perspective historique de réflexion sur la discipline, les lecteurs retrouveront en filigrane l’obligation d’accorder la priorité au jeu comme l’affirmait déjà Bosc en 1996. De la même manière, se perçoit en arrière plan une conception de l’imbrication des apprentissages techniques et tactiques. Jordane et Martin parlaient déjà en 1991 de complexes technico-tactiques, de même que Rongeot (2013) écrivait la même chose dans le Contrepied consacré au handball.

Les contributeurs de ce numéro, engagés dans le basket-ball et ces pratiques (scolaires EPS-AS-SSS, fédérales, 3 contre 3, haut-niveau, formation…) mettent en avant une conception du basket-ball en EPS perçue comme :
– un jeu de transition où la continuité du jeu est la règle ;
– un jeu d’adresse où la prise d’initiative au tir est recherchée ;
– un jeu d’opposition guidé par un arbitrage partagé et respecté.

Nous montrerons ici en quoi ces principes relèvent d’évolutions récentes des pratiques du basket-ball et développerons les perspectives qu’ils apportent pour l’enseignement de l’EPS.

Un jeu de transition où la continuité du jeu est la règle

Le basket-ball est un jeu de transition. Le pratiquant transite entre l’attaque et la défense et inversement sans arrêt de jeu et/ou replacement après la marque. Le pratiquant transite entre les rôles de porteur de balle et de non porteur de balle, de défenseur sur porteur et non porteur, etc.

L’évolution des règles, du panier non percé des premières rencontres, à la diminution du temps de possession de l’attaque, a amplifié cette caractéristique de jeu de transition mais, plus encore, les évolutions récentes des pratiques répondent de celle-ci.

« Ne doit-on pas laisser tirer un élève de 4e ouvert à 5 m plutôt que de répéter de « faire des passes » pour aller trouver un partenaire démarqué plus près du cercle ? »

Le très haut-niveau NBA se caractérise par un total de 85 tirs pris par matchs. Soit à temps de jeu égal, 10 % de tirs en plus que les meilleurs niveaux français. Ce jeu accéléré du très haut niveau s’explique par l’augmentation des qualités techniques de tir, nous y reviendrons. Mais joueurs et entraîneurs NBA appuient leur projet tactique sur cette particularité de jeu de transition.

De la même manière, la formation en Europe sous l’impulsion du système de formation espagnol met en avant la continuité du jeu. Depuis de nombreuses années déjà, les cadres du basket espagnol invitent leurs entraîneurs à ne pas arrêter le jeu et les allers-retour des jeunes joueurs sur le terrain, que ce soit pour une faute ou un marché sans impact sur le jeu, ou pour réaliser un énième arrêt sur image. Chaque arrêt hache le jeu, diminue le rythme et au final installe des modalités d’entraînement qui limitent le développement des qualités physiques des joueurs.

Autre exemple, la progression du basket en 3 contre 3 peut laisser croire à une segmentation du jeu dans le temps au premier abord : jeu sur un seul panier, sortie de balle obligatoire, etc. Mais le règlement FIBA, par sa règle de continuité du jeu après le rebond ou la marque a vu l’émergence d’un jeu très athlétique où là encore l’esprit du jeu de transition prime.

L’éducation physique et sportive ne peut appréhender le basket-ball sans respecter cette caractéristique pour des raisons qui relèvent de la facilitation des apprentissages, du développement global des qualités physiques tout comme de la production de contextes permettant l’engagement continué de l’élève.

Le jeu arrêté sur décision arbitrale ou du fait de contextes d’apprentissages particuliers (fonctionnement par vagues, nombre de passages en attaque successifs…) multiplie les situations de touche qui sont défavorables à l’attaque. Combien d’images reviennent aux enseignants, de touches durant plus de 5 secondes, de balles perdues dès la première passe, de fichues grappes qui reviennent à l’occasion de ces touches ? Le jeu haché, par la concentration de joueurs dans l’espace qu’il occasionne, met en difficulté les élèves.

Un jeu souvent arrêté limite le développement de la qualité physique d’endurance des élèves. Toutefois, il serait réducteur de cantonner aux seules qualités d’endurance les effets du jeu de transition. Les situations terminées après un seul tir tenté mettent de côté le rebond comme moment fondamental de la transition, ne permettent pas de construire une lecture de trajectoire dans ce rebond et de développer une coordination bras-jambes permettant l’attrapé de la balle dans l’impulsion. De la même manière, les situations sans réversibilité des rôles limitent la construction d’orientations différentes des poussées, pour passer de l’attaque à la défense et inversement, de développement de qualités de pied, etc.

Enfin, la construction d’un rapport positif à l’erreur tout comme le développement de l’engagement de l’élève dans l’opposition impose de construire des contextes où l’élève peut se reprendre. Encaisser un panier mais repartir. Rater un tir mais revenir en défense. Et de s’interdire des contextes où l’élève a le temps de se plaindre de ses coéquipiers, d’une erreur imaginaire d’arbitrage, etc.

Pour ces différentes raisons, l’enseignement de l’EPS ne peut que considérer avec attention cette caractéristique de jeu de transition du basket-ball.

Un jeu d’adresse où la prise d’initiative au tir est recherchée

L’évolution récente du jeu est marquée également par la quasi-disparition du jeu intérieur dos au panier et par l’augmentation du nombre de tirs à 3 points pris par match.

Les statistiques, au cœur du sport professionnel américain, sont sur ce point éloquentes. Si nous prenons l’évolution du jeu sur la carrière de Tony Parker, son équipe, constante au plus haut niveau, prenait 1211 tirs à 3 points à 36,2 % de réussite en 2001-2002 à l’arrivée du joueur français dans la ligue. Elle en a pris cette année 1977 à 35,2 % de réussite. Toujours sur une saison régulière de 82 matchs. Et si nous prenons l’équipe de Golden State Warriors, qui n’a pas connu la même constance dans la ligue mais une progression forte, les totaux aux mêmes dates sont passés de 994 tirs à 32,2 % de réussite à 2369 tirs à 39,1 %. Et encore la saison dernière ne fut pas la plus faste pour cette équipe. En 2015-2016, 2 592 tirs à 3 points à 41,6 % de moyenne ! Plus de 40 % de réussite à 7,25 m du cercle. Rappelons que les gymnases en France ont pour tracés une ligne en pointillés à 6,25 m et une ligne pleine à 6,75 m.

Cette avalanche de statistiques montre l’importance prise par le tir extérieur dans le basket-ball moderne et ce, sans baisse de la réussite au tir. De sorte que la relative simplicité tactique du jeu NBA n’aboutit pas à une baisse du niveau de performance, de part la rapidité du jeu et par l’augmentation des qualités de tir des joueurs.

Le jeu européen, avec ses particularités culturelles, répond de la même logique. La formation du joueur en France cherche à développer mutuellement chez les joueurs, l’adresse extérieure et la prise d’initiative du tir quels que soient leurs postes.

Ainsi, les entraîneurs du plus haut-niveau font aujourd’hui le pari de l’adresse de leurs joueurs plus que celui de la complexité tactique. Cette évolution de la pratique peut interroger la formation de l’élève en EPS.

« Nous faisons ici le pari du tir, de l’initiative au tir, de l’apprentissage possible au tir dans une séquence d’enseignement en EPS. »

Les enseignants d’EPS se retrouvent en difficulté pour faire progresser leurs élèves sur jeu placé en basket-ball. La gestion des surnombres, l’occupation rationnelle du terrain, l’occupation des couloirs fondent une intervention sur jeu rapide efficace, mais une fois la transition acquise de l’attaque vers la défense, les situations de jeu placé se multiplient pour lesquelles les enseignants sont plus démunis. L’occupation rationnelle de l’espace de marque, la circulation de la balle voire celle des joueurs organisent alors l’enseignement, mais la recherche de tirs faciles proches du cercle reste difficile face à une concentration de joueurs élevée.

Il nous semble ici que dans une même logique de recherche d’efficacité, nous devons encourager nos élèves à prendre les tirs ouverts loin du cercle plutôt qu’à rechercher des tirs faciles près du cercle. Ne doit-on pas laisser tirer un élève de 4e ouvert à 5 m plutôt que de répéter de « faire des passes » pour aller trouver un partenaire démarqué plus près du cercle ? De plus, le tir comme objet technique est un facteur de développement de la motricité de nos élèves en terme d’adresse et de coordination par la production de trajectoire et la coordination des poussées qu’il demande.

Ces considérations nous amènent à questionner l’apprentissage du tir en EPS.

Premièrement en terme d’engagement, la marque dans une cible haute et horizontale reste un mobile qui organise le projet du pratiquant (Coston & Ubaldi, 2010). Simplement, l’élève en basket veut marquer des paniers. Engager l’élève dans un projet technique du tir peut permettre son adhésion.
Si l’échauffement peut prendre appui sur un apprentissage technique faisant sens pour l’élève (Fanget, 2015), dès lors le tir peut-il en être l’objet principal sur la séquence d’enseignement ? Un ensemble de tirs simples et adaptés au niveau des élèves reproduit en début de séance, un taux de réussite à chaque leçon archivé dans un carnet d’entraînement, un fonctionnement en binôme pour l’observation autour de critères simples sur les poussées et la trajectoire avec ou sans l’utilisation d’outils vidéos ?

Nous faisons ici le pari du tir, de l’initiative au tir, de l’apprentissage possible au tir dans une séquence d’enseignement en EPS. Le risque de ce pari serait l’apparition d’un jeu de pistolero, d’élèves shooteurs peu adroits. Ici encore la conduite, en parallèle des apprentissages techniques du tir, d’apprentissages tactiques sur jeu placé va permettre l’identification de situation favorable de tir par l’élève en terme de distance de la cible et de distance de garde (défenseur).
Dernier point, les moyens rendant opérationnel ce pari sont la hauteur du panier et la taille du ballon. Un groupe d’élèves de 3e doit-il jouer obligatoirement avec un ballon taille 7 et un panier à 3,05 m ? Non !

Un jeu d’opposition guidé par un arbitrage partagé et respecté

L’année 2017 a vu l’entrée en vigueur d’une nouvelle règle du marcher dans le règlement FIBA. Cette évolution de la règle, mise en place pour harmoniser jeu FIBA et jeu NBA, ne peut être comprise sans considérer l’équilibre par le règlement du rapport de force entre l’attaque et la défense.
Schématiquement les règles de manipulation de balle et en premier lieu, le marcher, définissent les possibilités d’action de l’attaque comme la règle du non-contact définit celles de la défense. Ainsi, la dialectique marcher / non-contact garantit l’équilibre du rapport de force. L’évolution de la pratique a amené une évolution de la règle et même une complexification de la règle. Nous pouvons même affirmer aujourd’hui que la règle du marcher est devenue totalement incompréhensible au spectateur novice, à l’élève mais aussi parfois à l’entraîneur expert bien en peine pour caractériser certaines situations au début de la saison 2017-2018. Le marcher est aujourd’hui défini différemment en fonction de la réception en course ou à l’arrêt, du type d’arrêt, de l’action entreprise par le joueur.

Le non-contact constitue toujours l’esprit de la règle, mais le contact avec l’avant-bras est toléré dans le jeu intérieur et les contacts sur écran sont parfois violents sans relever d’une faute. La notion de cylindre fonde l’appréciation par l’arbitre du non-contact.

Autre point, l’arbitrage à 3 s’est peu à peu imposé à tous les championnats de haut-niveau, américain, européens, Pro A, et la saison écoulée Pro B et Ligue féminine. Le partage des responsabilités entre 3 arbitres dans un jeu complexe est perçu comme positif par les acteurs. Cette augmentation de l’encadrement va de pair avec un maintien voire une hausse des exigences dans le respect de l’arbitre. La zone de couverture de l’arbitre diminuant, les atteintes au règlement sont plus facilement repérables par l’arbitre et les erreurs d’appréciation de celui-ci proportionnellement plus faibles. Dans ces conditions, les fautes d’anti-jeu, les flopping 1, les réactions exagérées des joueurs et des entraîneurs sont plus sévèrement sanctionnées. Les possibilités de recours aux fautes techniques et anti-sportives sont augmentées parallèlement à cette hausse de l’encadrement arbitral. Autrement dit, la hausse de l’encadrement du jeu est assortie d’une pénalisation des comportements déviants des joueurs.

L’arbitrage partagé, la protection de l’arbitre, l’esprit de la règle et de sa dialectique nous paraissent être les fondements d’un arbitrage scolaire du basket-ball en EPS.
Un arbitrage scolaire, visant des apprentissages citoyens en EPS, ne peut faire reposer la gestion du rapport de forces, sur les épaules d’un élève seul, non protégé des interpellations diverses de ses camarades.
L’arbitrage collectif constitue un impératif en EPS. Le partage entre arbitres des zones du terrain amène toutefois des difficultés de placement mais également, l’activité loin du ballon de ces élèves reste peu importante et ne nécessite pas l’attention permanente de l’arbitre. Dès lors, le partage des règles semble plus efficace par la centration qu’il permet à chaque arbitre. Centration sur la manipulation de la balle pour l’arbitre balle, centration sur les contacts du défenseur pour l’arbitre contact, centration sur la possession de la balle et les touches pour deux arbitres de touche. Le partage des règles, selon cette organisation ou une autre, permet des apprentissages réels des élèves dans la prise de décision arbitrale.
Ces apprentissages décisionnels vont de pair avec la construction de la posture de l’arbitre. Il n’est pas facile pour un élève collégien ou lycéen de couper le jeu, d’intervenir, d’arbitrer des élèves qu’il apprécie et d’autres qu’il apprécie moins, des experts exigeants et des débutants déboussolés. De sorte qu’il nous paraît important de protéger l’arbitre. L’arbitre va se tromper et alors ? Une organisation à plusieurs arbitres permet un déroulement du jeu intéressant pour les joueurs dont il est attendu, en retour, le respect de la posture de l’arbitre. De sorte que l’enseignant peut intervenir dans l’arbitrage, moins pour la correction de la décision de l’arbitre, que pour la protection de l’arbitre par l’attribution de fautes techniques aux réparations signifiantes (points automatiques, lancer-franc à 2 m du cercle en fin de rencontre, exclusion de joueur…).

Cet article est paru dans le Contrepied Basket hors-série N°22 – Oct 2018

  1. Simulation d’un passage en force (faute offensive) par un joueur défenseur.