Gilles Mallet, professeur d’EPS à Lakanal, à Sceaux, dans la région parisienne travaille dans un établissement comprenant sur un même lieu collège et lycée. Les enseignants suivent les élèves de la sixième à la terminale. Partant des programmes de rugby, on déborde largement… sur la CP5 ! Cet article est une contribution au ContrePied consacré au rugby en 2012.
Rentrons immédiatement dans le vif du sujet. en tant que spécialiste rugby, que penses-tu des programmes dans cette spécialité ?
J’ai regardé attentivement l’ensemble des programmes. Ils définissent 4 niveaux qui sont censés couvrir collège, lycée et lycée professionnel : deux niveaux en collège et deux en lycée, plus un niveau qui s’adresse aux options (niveau 5).
Les programmes en eux-mêmes ne disent pas grand-chose, la définition des compétences attendues est assez générale.
Par exemple le niveau 1 au collège dit : « Dans un jeu à effectif réduit et sur un terrain de largeur limitée, rechercher le gain d’un match par des choix pertinents permettant de conserver et de faire avancer le ballon jusqu’à l’en-but adverse face à une défense qui cherche à freiner ou bloquer sa progression.
S’inscrire dans le cadre d’un projet de jeu simple lié à la progression du ballon. Respecter les partenaires, les adversaires et les décisions de l’arbitre. »
On pourrait dire ça pour n’importe quel sport collectif, ça ne donne pas beaucoup d’indications.
Et pour le niveau 4 (donc théoriquement après 4 cycles de 10 heures : « Pour gagner le match, mettre en œuvre une organisation offensive capable de faire évoluer le rapport de force en sa faveur en alternant opportunément jeu groupé et jeu déployé. La défense s’organise en une ligne disposée sur la largeur et cherche à conquérir le ballon. »
Est-on bien sûr qu’un enseignant non- spécialiste trouve matière à fonder et construire son enseignement ?
Je ne crois pas. Les programmes n’aident pas les enseignants. Je suis ensuite allé voir ce qui est beaucoup plus détaillé et précis dans les fiches ressources. Ces fiches ressources ne sont pas les programmes. Mais elles révèlent par contre les conceptions sous-jacentes. Ce qui m’a frappé immédiatement à la lecture, c’est qu’on a l’impression qu’il s’agit d’un patchwork, une liste de choses plus ou moins bien rangées dans les cases connaissances, capacités et attitudes. J’imagine un enseignant novice qui prenne ça comme support, il va aligner un certain nombre de tâches, d’items. Au mieux, les élèves vont acquérir une somme de savoir-faire. Est-ce ce que ça produit un élève éduqué ?
Finalement, ces fiches, et alors que l’on se targue en EPS de n’être pas technicistes, représentent pourtant les travers du technicisme en alignant, sans lien entre eux: donner, arracher, pousser, ramasser, esquiver, en direction de l’en but adverse, et soutenir l’action défensive d’un partenaire…
Au mieux, les élèves vont acquérir une somme de savoir-faire. Est-ce ce que ça produit un élève éduqué ?
Mais pour quoi faire, quel est l’intérêt ? Où est le sens ?
Sans compter que l’on trouve dans ces fiches des choses assez surprenantes du type, dans les connaissances, en défense du niveau 4 : position sur la pointe des pieds pour plus de réactivité… En rugby, sur la pointe des pieds !!
Il est probable que les contraintes imposées aux rédacteurs produisent cela, mais quelle qu’en soit l’origine, le résultat n’est selon moi pas probant. Par exemple une chose est déterminante, qui oriente l’enseignement et l’activité de l’élève, c’est la présentation des règles du jeu. Or dans la fiche de niveau 1 (donc pour le débutant), on ne parle des règles que dans la partie « connaissances ». Le règlement se résume à connaître les « règles simples » (marque, tenu, hors-jeu, en avant, sorties et remises en jeu). La place accordée, un item sur la quarantaine que contient la fiche ne correspond pas à la fonction de la règle, puisque tout découle de ça. D’autre part les choix faits ici sont à discuter. La conception du règlement est la même que le code de la route : une donnée à « respecter ». Faut-il tout de suite introduire l’en-avant ? Ca se discute, si on vise le développement du jeune, son adaptation, sa capacité à analyser et faire des choix, il faut que l’introduction de la règle réponde à une nécessité, par exemple rétablir l’équilibre des forces entre attaque et défense… Sinon comment peut-il comprendre le jeu ?
Autre chose et non des moindre, la lecture de l’ensemble des fiches laisse entrevoir une conception du rugby très classique, avec une forte centration sur le combat, qui augmente du niveau 1 à 4. Là encore, ça se discute, pourquoi imposer une vision du rugby, quand cette vision peut être un obstacle à la mise en œuvre d’un rugby scolaire ? Autre exemple encore, le jeu au pied n’apparaît quasiment pas. Or c’est une modalité très productive et très riche dans les choix que cela offre au joueur. En mettant l’accent justement sur l’évitement ou le contournement.
Pourquoi les fiches n’en parlent pas ?
Pour résumer, les programmes statuent et imposent des choix qui ne s’imposent pas. Ils « saucissonnent » l’activité en une liste de choses qui font perdre le sens, et surtout qui ne permettent pas à l’enseignant (et donc à l’élève) de comprendre le fil rouge.
Mais n’est-ce pas un problème plus général de l’orientation disciplinaire aujourd’hui ?
Ce que je sais c’est que certains choix nous interrogent : on nous demande de changer notre enseignement sur des bases douteuses.
Je vais donner deux exemples.
La « CP5 » pose de véritables problèmes. On nous dit que c’est censé s’adresser à des élèves qui ne peuvent avoir d’enseigne- ment sportif, parce qu’ils n’aiment pas ça, par ce qu’ils ne peuvent pas… La pratique physique leur pose problème alors on va leur en proposer moins : les fiches d’évaluation du Bac sont très claires là-dessus, la moitié de la note seulement est sur la production physique. Pour peu que l’élève fasse le choix d’objectif de forme, à faible intensité, on peut dire qu’il n’y a presque plus besoin de pratique. L’EPS est en train de se détacher de la notion d’effort, de dépassement de soi, etc. Au bout du compte, tout le monde à la même note. Cette notion de projet ou de contrat, telle qu’elle est développée dans la CP5 est aberrante. Même dans des activités comme l’athlé (pentabond par exemple) on voit des élèves éviter de trop sauter pour « faire » son contrat.
« Les programmes n’aident pas les enseignants ! »
Dire que c’est pour les filles ou les non sportifs ce n’est pas raisonnable. C’est comme si en math on disait, y’a les bons en math, ils vont faire des problèmes, et ça sera Sudoku pour les autres.
Ce qui ne veut pas dire que les objectifs affichés pour la CP5 soient inintéressants : ils doivent être travaillés dans toutes les activités. Pour continuer dans le même sens, nous avons constaté qu’en troisième les filles avaient de moins bonnes notes que les garçons, en moyenne. La logique de l’inspection c’est donc : moins de sport co !
Mais il faut interroger beaucoup de chose pour comprendre : manque de motivation, contenus enseignés, etc. Nous avons fait l’hypothèse inverse: si les filles ont de moins bonnes notes, il ne faut pas donner moins de sports co, mais mieux. Nous avons mis en place des interclasses de niveau, en 4e, qui sont notés. Ça crée de la vie et de l’émulation, les élèves sortent de l’enfermement de leur groupe classe et des hiérarchies parfois figées, les profs qui notent ne sont pas ceux de la classe… et se donnent à fond… les filles se mettent à mieux réussir. Tout le contraire de ce qui est préconisé.
Si les filles ont de moins bonnes notes, il ne faut pas donner moins de sports co, mais mieux »
Dans un autre registre, les programmes, ou du moins leur conception, tendent à appauvrir l’EPS, en lui retirant une partie de la vie qui l’anime. Par exemple dans le cadre des programmes collège, on a «droit» à une activité d’établissement. Cette activité doit être validée par l’inspection. Nous faisons chaque année un cross au collège. 640 élèves concernés, tout le monde participe aux tâches d’organisation… bref c’est un élément de vie absolument incroyable pour la vie d’un bahut. Donc dans le cadre de l’activité au choix de l’établissement, on a voulu mettre « cross ». Car ça demande une préparation spécifique, à tous les niveaux, intégrant l’apprentissage des rôles pendant la manifestation, etc. Et bien les fiches ont été refusées par l’inspection en nous disant : non, ça c’est du 1⁄2 fond, donc prenez la fiche demi-fond! Non ce n’est pas du demi-fond. En tout cas ce n’est pas que du demi-fond. C’est une activité culturellement spécifique et qui en plus répond à un ancrage culturel scolaire, dans notre collège…
La conception des programmes actuels tend donc à une forme de normalisation et une dévitalisation. Que vivent les élèves ? Des trucs (appelons-ça savoir, compétence ou connaissance, au bout du compte ça revient au même) qui mis bout à bout ne font ni culture, ni réussite pratique des élèves.
Cet article est paru dans le Contrepied HS n°2 épuisé … mais accessible en ligne