Programmes : attention aux contresens !

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Léo Cantié enseignait au Collège Alain ZEP à Carcassonne (11), et animait depuis 1989 l’AS badminton ; il a été responsable de la section sportive du Collège du Bosquet à Bagnols sur Cèze ZEP (30) jusqu’en 2006. Il est aussi entraineur au Badminton Club de Trèbes (FFBAD). C’est au titre de ses expériences variées que nous avons sollicité son point de vue sur les textes en vigueur en EPS. Contribution au Contre Pied sur le badminton en 2014.

La certification au DNB est le dernier texte officiel en date. Quel regard portes-tu sur les textes en EPS ?

A tout âge, quel que soit le niveau, chaque joueur est confronté à des choix de nature stratégique, c’est déterminant dans des activités comme le badminton. Toutefois les réponses des élèves peuvent être très rudimentaires avant de devenir au fil des apprentissages de plus en plus élaborées.
Les textes donnent des éléments sur la construction de l’échange en proposant de faire évoluer les conduites offensives. Mais il est difficile de comprendre la gradation, la hiérarchie des savoirs enseignés dans le cursus des élèves, du niveau 1 au niveau 5.

Ensuite, contrairement aux sports collectifs, rien n’est dit dans la compétence attendue à propos de :

  • l’activité défensive du joueur. L’adversaire va frapper, où suis-je, quels indices ai-je sur l’endroit où va aller le volant, est-ce que je peux anticiper la suite ?
  • la prise d’information sur ce que fait l’adversaire avant de décider vers où (longueur, hauteur, direction) et comment (choix de la technique) je vais frapper le volant.

C’est le rapport entre ce que m’impose, ou pas, l’adversaire et les solutions dont je dispose qui caractérisent le rapport de force, ma situation de dominé ou de dominant.
Dans ce contexte, comment parler d’une construction offensive sans dire quelle est la nature de l’obstacle à vaincre ? Si quelqu’un en face de moi se place plus ou moins au hasard, si son action est limitée à telle ou telle partie du terrain, je ne vais pas agir de la même façon… à condition de le voir.

Reprenons l’intitulé des niveaux, les compétences attendues, du Collège au Lycée :

  • N1 : En simple, rechercher le gain loyal d’une rencontre en choisissant entre renvoi sécuritaire et recherche de rupture sur des volants favorables par l’utilisation de frappes variées en longueur ou en largeur.
  • N2 : Rechercher le gain d’une rencontre en construisant le point, dès la mise en jeu du volant et en jouant intentionnellement sur la continuité ou la rupture par l’utilisation de coups et trajectoires variés.
  • N3 : Pour gagner le match, s’investir et produire volontairement des trajectoires variées en identifiant et utilisant les espaces libres pour mettre son adversaire en situation défavorable.
  • N4 : Pour gagner le match, faire des choix tactiques, et produire des frappes variées en direction, longueur et hauteur afin de faire évoluer le rapport de force en sa faveur.
  • N5 : Pour gagner le match, concevoir et conduire des projets tactiques en enrichissant son jeu (varier le rythme, masquer les coups, …) face à un adversaire identifié.

L’idée d’un adversaire n’apparait qu’au lycée (N3), la notion de choix tactique et de rapport de force qu’au niveau 4 et celle d’ « adversaire identifié » uniquement pour les options (N5). Au passage, on peut penser qu’au niveau 4, celui attendu au BAC, l’adversaire n’est pas identifié : quelle est donc la nature des choix tactiques avant le niveau 5 si l’adversaire n’est pas identifié ?
Si les textes officiels n’ont pas hiérarchisé et clarifié de façon nette ce qu’il y a à apprendre aux élèves au cours de la scolarité, il me semble qu’ils peuvent induire des contresens sur ce qu’il y aurait à enseigner : un élève qui alterne les frappes (des coups et des trajectoires variées) peut donner l’illusion qu’il construit le point alors qu’en fait il ne s’occupe pas de l’adversaire. A quel moment, dans le cursus, faut-il amener les élèves à réfléchir sur la caractérisation de l’adversaire, ses points forts, ses points faibles ? à quel moment dans le cursus, faut-il apprendre aux élèves à regarder, pendant l’échange, celui qui est en face ? S’agit-il d’apprendre aux élèves des productions de trajectoires ou bien de construire le gain, en utilisant des trajectoires, des « suites » de trajectoires efficaces, pour mettre en difficulté un adversaire singulier ?

Le vocabulaire des textes répète le terme « varié » dans tous les niveaux. La variété semble donc être un objet d’apprentissage ?

Je pense que, sans être formellement fausse, cette façon d’énoncer les choses peut amener des contresens en contournant la difficulté de définir précisément l’enjeu tactique. Ça pourrait en effet laisser penser que, finalement, le badminton est une activité de « production de trajectoires variées ». De plus, ce terme est employé dans tous les sens, à propos des frappes (N1, N4), des trajectoires (N2, N3), des coups (N2), du rythme (N5)…

L’objet de l’enseignement devrait consister à enseigner la culture de l’activité, sa complexité, sa richesse. Si un débutant ne voit pas celui qui est face à lui, et n’en tient pas compte, il faudra l’amener à capter des images brèves, puis au fil de ses progrès, des suites d’images, puis un véritable film. Cette métaphore est assez efficace pour comprendre ce que pourrait-être le parcours d’un élève dans sa scolarité. La prise d’information, en direct, pendant l’échange, peut s’accompagner de l’activité intellectuelle des élèves entre les échanges et au fil du match. Cela fait partie intégralement de la culture de l’activité : savoir repérer ce qui est efficace pour marquer et ce qui ne marche pas, ce qui permet de bien défendre et bien attaquer, dans la même frappe.

Tout ça pour dire, qu’à mon sens, un des gros problèmes des programmes (et par contrecoup de l’évaluation) du N1 au N4, est bien le fait que l’adversaire, et surtout son activité, ne sont pas identifiables.

En définitive, plus les élèves seront capables d’envoyer le volant partout, et sous toutes les formes, plus on pourra avoir de certitudes sur leur motricité, leur technique, mais rien n’indiquera qu’ils se sont approprié la compétence à conduire et maîtriser un affrontement individuel. Par exemple pour avoir entre 10 et 16 au BAC : « Le candidat a identifié certains de ses points forts, il propose et tente de les utiliser le plus souvent possible. La relation avec les possibilités de l’adversaire apparaît » : la dernière partie de la phrase me laisse dubitatif…

Venons-en maintenant à l’évaluation et aux critères retenus. Qu’est-ce qui est le plus marquant ?

Le découpage des points repose sur 3 catégories au DNB (la fiche bac propose d’autres pistes plus fructueuses) : « l’efficacité dans le gain des points et des rencontres », « l’efficacité dans la construction des points » et l’efficacité dans la gestion du tournoi, tenue des rôles, et aide à un partenaire ».

Pour ce qui est des deux premiers, on peut légitimement se demander si ce n’est pas, dans le meilleur des cas, redondant, et, dans le pire des cas, contradictoire. La logique de séparation des critères dans l’attribution des points repose sur l’idée qu’un élève donné pourrait avoir une bonne note sur un critère et une mauvaise sur l’autre, que ce sont deux choses différentes qui sont notées. Sinon il est inutile de les séparer. Peut-on dire qu’un élève est très efficace dans le gain des points et peu efficace dans la construction du point ? à l’inverse la construction du point peut-elle être efficace, dans le cadre d’une activité où, rappelons-le, la finalité identifiée par la compétence est de « rechercher le gain d’une rencontre », si elle ne débouche pas sur le gain du point ?

Pour ce qui est des points attribués pour le coaching… je trouve que c’est très intéressant dans le cadre de l’enseignement, mais je ne suis pas sûr du tout qu’il faille le faire rentrer dans une note certificative. On peut considérer que le travail d’échange, entre joueur élève et coach élève, est un excellent moyen pour faire progresser les élèves dans la compréhension de leur jeu, dans leurs choix, et au final dans l’acquisition de la compétence attendue. Par ailleurs, il faudrait, pour l’évaluer a minima, comparer ce que dit l’élève « coach » avec ce que dirait le prof pour pouvoir noter : partagent-ils le même point de vue sur la prestation du joueur observé ? Dans ce contexte, l’évaluation me parait très difficilement réalisable.

Pour le coaching… je trouve que c’est très intéressant dans le cadre de l’enseignement, mais je ne suis pas sûr du tout qu’il faille le faire rentrer dans une note certificative.

En effet il faut évaluer chaque élève quand il joue (avant coaching et après coaching) et évaluer ce que le coach dit (conseille) à propos du jeu, avant son intervention : quid de l’autonomie du joueur conseillé, de la validité des conseils et de l’influence sur la suite de la prestation du joueur évalué ? Comment l’autre joueur va-t-il lui aussi réagir ? Quelle incidence du bon coach sur le résultat du match qui peut aussi rapporter des points. Et si le coach donne de mauvais conseil ?

L’attribution de ces quatre points peut difficilement se réaliser sérieusement lors d’une séance d’évaluation terminale. Le professeur doit assister aux matchs pour évaluer les joueurs mais aussi et surtout les coaches : en conséquence le professeur doit voir beaucoup de matchs pour évaluer les élèves, et écouter tous les coaches. Les matchs peuvent avoir lieu, lors d’une séquence de 2 heures, mais le professeur lui, ne peut-être que sur un terrain à la fois…Dans ces conditions, je pense qu’il vaut mieux s’abstenir.

Quelles seraient tes pistes de réflexion pour changer les textes ?

Si on était capable de bien définir ce qui est attendu, la réalisation de l’évaluation serait bien plus facile. Travaillons d’abord sur ce qu’on veut que les élèves apprennent. Sur la scolarité, l’enseignement du badminton en EPS pourrait se donner comme ambition quatre choses essentielles :

  • Enseigner les outils permettant aux élèves d’être plus maîtres de leur destin, plus autonomes, plus intelligents dans : construire de la tactique (choix contre un adversaire particulier), de la stratégie (se constituer et utiliser une bibliothèque de solutions générales ou de principes) pour attaquer, pour se défendre.
  • Apprendre aux élèves les éléments techniques minimaux (au vu du temps disponible) pour réaliser leurs intentions au fur et à mesure de leur scolarité.
  • Apprendre aux élèves à rechercher et utiliser les informations (visuelles) pendant l’échange pour faire des choix en direct.
  • Apprendre à travailler en partenariat : se faire travailler à tour de rôle, pendant les exercices techniques, s’observer et débattre, après des séquences où l’un des deux joue contre un autre. Apprendre à conseiller tactiquement un partenaire pendant une séquence de jeu.

La question de la programmation devrait sans doute être revue pour voir, autour de ces quatre axes, comment organiser, eu égard à l’âge et aux ressources des enfants, ce qui est possible et aurait du sens pour eux.

Entretien réalisé par Christian Couturier et paru dans le Contrepied Hors-Série n°8 – Badminton