Christian Couturier, membre d’EPS et Société, revient sur quelques problématiques liées à l’ancrage important de l’athlétisme en EPS. Un ancrage historique qui n’a pourtant pas résolu les tensions que posent son enseignement.
Cet article introduit le n°19 de la revue Contrepied intitulé « Quel athlétisme pour l’EPS »
Diversité des pratiques athlétiques et unité de l’activité athlétique ?
Qu’est-ce que l’athlétisme ? Question corollaire : qu’est-ce que l’athlétisme scolaire ou encore qu’est-ce que l’athlétisme en EPS ?
Ces questions peuvent paraître anodines mais il n’est pourtant pas évident d’y répondre. Si l’on s’en tient à l’institution sportive, on pourrait dire facilement qu’il s’agit d’une discipline olympique. Une discipline ? Non un ensemble de spécialités qui semblent n’avoir pas grands points communs (entre le marathon et le marteau par exemple). Quelqu’un qui s’entraîne seul, hors institution, pour faire progresser sa « VMA » fait-il de l’athlétisme ? Quelqu’un qui court le dimanche quelles que soient ses motivations fait-il de l’athlétisme ? La question devient encore plus compliquée dans le cadre scolaire qui crée des pratiques inexistantes par ailleurs : la course en régularité par exemple. Et, dans ce champ scolaire, l’athlétisme de l’école primaire est-elle le même qu’au collège ou qu’au lycée ?
La question qu’il nous revient de poser est de savoir, pour s’attacher au fond du problème, pourquoi enseigner l’athlétisme en EPS, et quoi enseigner.1
Or, si l’on perçoit bien la diversité des formes que prennent les pratiques athlétiques dans et hors de l’école, comment se repérer et proposer aux jeunes une activité qui présente une certaine unité dans le cadre d’une culture commune ?
L’athlétisme scolaire est-il en crise ?
Comme toujours dans Contrepied, le numéro a pour objectif de dévoiler un peu ce qui est parfois voire souvent implicite, faire apparaître les éventuelles contradictions et mettre en avant ce qui peut faire avancer l’enseignement de l’EPS, même d’un tout petit pas, vers un enseignement fondamental, pour tous, de la culture des APSA. Or Jean-Pierre Cleuziou dans « EPS et Société Infos » n°21 de mars 2003 parlait à propos de l’athlétisme d’une « crise didactique sérieuse » en s’appuyant sur l’historique des épreuves du Bac. Mais dans le même temps il apparaît que la quasi totalité des collèges programment au moins un cycle, et que l’activité « course » semble la plus programmée (enquête académie de Versailles 2003) même si les programmations chez les enseignants que nous avons interrogés semblent très disparates. Au lycée, 62% des élèves sont évalués dans une des épreuves relavant du groupement des activités athlétiques (Rapport commission évaluation 2003/2004). Si l’on confronte les deux analyses, on pourrait dire qu’il y a une tension entre une crise réelle ou perçue de l’enseignement de l’athlétisme et le fait que quasiment tout le monde reçoive une formation dans cette activité, en masse plus importante que les autres, sports collectifs mis à part. Une activité enseignée oui, mais avec quels acquis chez les jeunes au bout du compte ?
Une activité enseignée oui, mais avec quels acquis chez les jeunes au bout du compte ?
Il n’est pas sûr, pour illustrer cette tension, que lorsqu’on regarde un élève de terminale au Bac, on ait une image très flatteuse de ce qu’il a pu « acquérir » durant sa scolarité. Par ailleurs on peut aussi se poser la question du développement du goût de cette pratique. Quels sont les élèves qui en gardent un très bon souvenir ?
Il y a donc à s’interroger sur le sens et sur les pratiques de cet enseignement.
L’athlétisme, une activité paradoxale ?
L’image de l’activité présente un certain nombre de choses qui peuvent poser problème soit à l’élève pour pratiquer, soit à l’enseignant pour concevoir. Constitutifs de l’histoire de l’athlétisme, source de malentendus, ces problèmes peuvent aussi se retourner en points d’appuis pour peu qu’ils soient traités sur le plan didactique et pédagogique.
L’effort et/ou le plaisir, le travail et/ou le jeu !
La pratique de l’athlétisme est associée à des valeurs d’effort et de travail. Effort violent et rapide, effort soutenu, effort de longue durée… les courses, quelle que soit leur nature, sont le symbole de l’effort. Les lancers ou les sauts symbolisent plutôt le travail, la répétition, pour obtenir le réglage, la gestion des forces la plus optimale. Évidemment l’image est plutôt contraire à l’esprit ludique que peuvent avoir les jeunes enfants et adolescents, mais se trouve en phase avec les valeurs scolaires. Pas étonnant dès lors que l’athlétisme ait longtemps fait partie des « sports de base » à l’école. Aujourd’hui encore elle est l’une des activités les plus pratiquées par les élèves après les sports collectifs. La création de l’activité scolaire « course de durée » est très emblématique de cette situation en associant l’effort (longue durée) et le travail (régularité). Mais étant calée sur ces valeurs, véhiculées historiquement par l’institution scolaire, elle peut en subir aussi les contrecoups, à savoir la faible adhésion des élèves. Il y a donc un paradoxe qui d’ailleurs peut traverser d’autres activités et peut-être l’EPS tout en entière : être en phase avec les valeurs scolaire facilite l’intégration voire la reconnaissance et dans le même temps provoque le rejet. La FFA l’a certainement compris pour proposer dans son CD-Rom un athlétisme qu’elle veut ludique et varié. Les enseignants aussi, le numéro en montre des exemples, font preuve d’imagination pour trouver des situations de jeux, de défis, de confrontations aux autres, des épreuves collectives… Mais rechercher le jeu à tout prix pourrait à l’inverse vider pour une part l’activité d’un contenu éducatif qui peut être jugé important et faire sens dans la société d’aujourd’hui.
D’ailleurs, sans doute que la recherche du sens profond des pratiques sportives en général a perdu de sa vigueur dans les discours, au point d’être souvent absent de nombre de propositions actuelles. Nous voudrions pour notre part redire que les travaux de Bernard Jeu, qui n’ont pas été repris depuis, offrent une intelligibilité et un sens qui manque aujourd’hui en EPS. « La performance… C’est la conquête héroïque par l’homme de toutes les dimensions de l’espace et du temps par-delà limites et obstacles qu’il s’invente pour pouvoir justement les dépasser » écrit Bernard Jeu …
« La performance… C’est la conquête héroïque par l’homme de toutes les dimensions de l’espace et du temps par-delà limites et obstacles qu’il s’invente pour pouvoir justement les dépasser »
Bernard Jeu
« Le problème est de montrer comment l’espace donne la clé de l’émotion et l’émotion celle du sport ». Car l’émotion et probablement derrière lui le plaisir, le bien être… sont des moteurs de la dynamique culturelle et de l’apprentissage qu’il nous faut trouver ou retrouver.
La performance et/ou la technique
De façon contradictoire avec le point précédent (l’association de l’athlétisme avec les valeurs d’effort et de travail) la performance, c’est-à-dire le résultat de l’action (en terme chiffré en l’occurrence), est, elle, très souvent associée au patrimoine génétique ou à des facteurs intrinsèques. Cette vision « naturaliste » des choses a été institutionnellement soutenue et développée par Cl. Pineau lors de la rénovation des épreuves du Bac en 1993. Pourtant l’athlétisme est toujours classé dans le groupe des activités dites de performance dans les programmes et, nous le voyons dans les « paroles » d’enseignants, la performance est souvent une des premières caractéristiques mise en avant : elle permet de se dépasser, de se confronter aux autres… Ce qui signifie qu’il n’y pas a priori d’ambiguïté, au moins formellement, sur le sens. Mais paradoxalement la spécificité de l’enseignement de l’athlétisme dans les conditions scolaires incite les acteurs à relativiser la place de la performance à partir d’un questionnement, légitime, sur le fait de savoir si la performance est un bon reflet des choses apprises. La distinction performance/maîtrise au bac 93 et qui a cours encore aujourd’hui dans de nombreux établissements, en collège notamment, est un exemple assez parlant de la réponse institutionnelle à ces questions : il faut à la fois réduire le poids de la performance dans l’évaluation et prendre en compte « autre chose ». La création de la régularité en course comme élément central du travail est à mettre aussi au crédit de cette logique. Mais alors, en limitant le poids de ce qui correspond au sens (social, culturel, anthropologique) de l’activité pour viser d’autres objectifs, ne crée t-on pas une confusion entre le but (produire une performance) et les moyens (techniques, physiologiques…). Cette contradiction peut créer une ambiguïté chez l’enseignant sur ce qu’il y a à faire faire. Et une incompréhension chez l’élève sur ce qu’il y a à faire et donc sur l’activité à déployer pour apprendre.
Si on veut vraiment limiter l’impact des qualités physiques « intrinsèques » (en supposer que l’on soit capable de définir ce que cela signifie), la seule solution raisonnable (et c’est vrai dans toutes les APSA) consisterait à miser sur l’apprentissage technique, nécessairement fruit de l’apprentissage et inscrit dans l’histoire de l’homme (aspect anthropologique). Mais on se retrouve malgré tout devant des difficultés. Car de quelle technique parle t-on alors ? Le modèle du champion, même si l’on ne retient que les principes mécaniques, est évidemment intransposable au jeune qui n’a ni les forces ni bien sûr l’entraînement qui a permis de maîtriser cette technique. Chacun a pu vérifier cette idée avec l’usage en saut en hauteur du Fosbury qui induit la plupart du temps une activité de simulacre chez l’élève qui reproduit tant bien que mal une forme, sans rechercher la résolution du problème posé. C’est ce qui a été appelé souvent « la dérive techniciste ». D’ailleurs, enseigner des solutions techniques, même les plus en adéquation avec les potentialités des élèves peut, par certains aspects, être très formel et, par là même, faire oublier la finalité et le sens de l’activité déployée : la technique pour quel problème ? On en revient à la nécessité de définir clairement ce qui, culturellement, caractérise l’athlétisme, pour en dégager l’intérêt éducatif.
Développer ou pas les ressources ?
Ressources, potentialités, capacités intrinsèques, potentiel athlétique, VMA… autant de termes que l’on retrouve souvent dans la littérature concernant l’athlétisme. On trouve même carrément des documents sur Internet du type « Athlétisme en collège, travail autour de la VMA ». C’est certainement enfoncer une porte ouverte que dire que l’athlétisme est dans les discours saturé de physiologie. Mais, nouveau paradoxe, une idée est largement répandue, consistant à affirmer que dans le temps qui nous est imparti, il est illusoire de penser développer les ressources des élèves (ce que démentent certains comptes rendus de pratique dans ce numéro !). Pourquoi dès lors continuer à utiliser cette activité en milieu scolaire qui, de plus, pour des raisons matérielles, se résume dans beaucoup d’établissements aux courses ? Car en cumulant les problèmes : un doute sur la place de la performance, la difficulté de travailler sur l’effort, et l’impossibilité d’avoir un impact sur les ressources ; mieux vaudrait alors faire autre chose : les élèves courront sans doute beaucoup plus et avec plus de plaisir en faisant du foot ! Idem pour le lancer à bras cassé et le sprint à partir du handball… Bref, vidée de son sens, et finalement des éléments essentiels de son histoire (développement des ressources, recherche de performance, apprentissage technique, valeur de l’effort), l’athlétisme, loin du « sport de base », risquerait d’être remisé au rang de sport anecdotique, du moins en milieu scolaire ?
Les compétences professionnelles en question
Les enseignants d’EPS sont massivement concernés par cette activité, nous l’avons dit. Pouvons-nous admettre qu’il se pose, ici comme ailleurs, des problèmes de compétences professionnelles ? En gros les enseignants d’EPS ont-ils une formation qui leur permet de comprendre ce qu’est l’activité, avec la diversité de ses spécialités, d’en situer les enjeux de formation, de proposer un enseignement adapté, de se centrer sur ce que fait réellement l’élève, pour l’évaluer correctement. Sommes-nous capables de ne pas nous centrer exclusivement sur la forme du geste technique, de centrer l’élève sur la prise en compte de contraintes contradictoires, de l’amener à comprendre son propre fonctionnement… tout en cherchant à produire la meilleure performance possible… tout en développant le plaisir de pratiquer et d’apprendre. Difficile évidemment de tout faire. En fait on s’aperçoit, comme pour les autres APSA, qu’il vaut mieux être « un peu » spécialiste. De quelles compétences supplémentaires disposer ? Sur la physio ? Sur la biomécanique ? Connaître une grande panoplie d’exercices comme le propose le CD-Rom de la fédération d’athlétisme ? Connaître les capacités d’un jeune à tel âge ? Quand on prend en compte à la fois la baisse importante de la place des APSA en formation initiale, et le démembrement organisé de la formation continue, que nous reste t-il ?
Les pratiques scolaires entre innovation et renoncement
La préparation de ce numéro nous a fait apparaître la grande diversité des préoccupations et points de vue des enseignants, qu’ils soient spécialistes ou pas de l’activité. On repère alors un certain nombre de questions qu’il faut poser de façon explicite, pour élucider notre rapport à cette activité qui a la particularité, avec le combat et la danse, d’avoir les racines les plus anciennes dans l’histoire de l’homme.
- L’athlétisme est-il, peut-il être un « sport de base » pour l’école ? Cette idée, dépassée dans les discours, continue pourtant à faire son chemin. Son ancienneté dans l’histoire des hommes, son impact sur les « capacités », son utilisation d’actions dites de base (courir, lancer, sauter), la finesse des coordinations attendues (équilibre, propulsion…), les valeurs véhiculées (effort…) en font une activité (encore) massivement pratiquée en milieu scolaire. Et on a tendance à lui conférer une portée « générale » ou à visée généraliste, c’est-à-dire pouvant avoir un impact sur les autres activités programmées. Est-ce justifié ? Ce point de vue peut-il avoir encore une certaine validité ?
- L’athlétisme, en tant qu’activité sociale, présente t-elle une unité, cohérence ? Doit-on parler d’athlétisme, de pratiques athlétiques, de pratiques à visée athlétique ? Doit-on distinguer les courses des lancers ou des sauts au point d’en faire des pratiques scolaires autonomes et irréductibles les unes aux autres ? De ces questions en découlent d’autres : doit-on viser un apprentissage « polyvalent » dans les différentes catégories d’épreuves ? faut-il faire pratiquer exclusivement des épreuves combinées ? Parmi toutes les spécialités, lesquelles choisir, certaines sont-elles plus intéressantes que d’autres, en fonction de quoi ? De la réponse à ces questions dépendent les enjeux de formation pour l’élève : dans le cadre de la définition d’une culture commune à l’école, au bout du compte, que devront savoir faire les jeunes de tel ou tel âge, que devront-ils avoir appris, quelles transformations ?
- Dans l’optique d’une approche « culturaliste » que nous revendiquons depuis la création de la revue, comment se départir de conceptions uniquement physiologiques et/ou technicistes ? On s’aperçoit en effet que cette tendance peut facilement être très présente dans les contenus d’enseignement alors même que l’on peut prétendre s’en distancer dans le discours. Comment définir « l’épaisseur culturelle » de cette discipline pour en faire un enseignement fondamental c’est-à-dire qui se rapporte à l’essentiel. L’athlétisme, ce n’est pas simplement de la « motricité », aussi perfectionnée soit-elle ? Comment définir alors cette culture athlétique ?
Ce numéro de Contrepied, pas plus que les précédents, n’apportera de réponses définitives à ces questions, mais l’on y trouvera des tentatives pour, dans les discours ou dans les comptes rendus de pratiques, poser une pierre dans l’entreprise de construction des contenus scolaires.
Pour notre part nous souhaitons situer la problématique des pratiques scolaires sur l’idée que l’école est là pour faire le lien entre l’individu et la société, entre le passé et l’avenir, entre le singulier et l’universel. Dans ce cadre, les disciplines ont à proposer des contenus qui permettent à chacun de construire ce lien. Les conditions de la pratique scolaire ne sont pas celles de la pratique sociale, tout le monde le sait. La question simple qui nous est posée est : comment proposer aux élèves des contenus qui leur permette d’entrer dans une culture à visée universelle ? C’est tout le problème de la transposition didactique dans le cadre de la démocratisation de l’école.
Mais pour que les liens s’opèrent, il faut qu’il y ait effectivement des liens, et qu’ils soient visibles ou au moins décelables. Autrement dit la question de la « distance » des pratiques scolaires aux pratiques sociales continue à être une vraie question pour nous : jusqu’où aller dans la rupture ?
Ces propositions peuvent être qualifiées d’« innovantes » dans la mesure où elles s’ancrent sur un refus du renoncement : ne pas renoncer à considérer chaque jeune comme « éducable », ne pas renoncer au souci de démocratisation, ne pas renoncer à transmettre une culture sportive qui, comme le disait justement Bernard Jeu, est fondamentalement une culture populaire !
Certains aujourd’hui prône la rupture complète : les pratiques sociales ne nous intéressent plus, il faut s’en dégager pour s’occuper de notre champ, l’école, en créant notre propre culture en fonction de nos propres besoins. Il faut noter que bien souvent le rejet se fait ici sur la pratique de haute performance, qui ne représente qu’une infime partie, certes très visible, des pratiques sportives.
D’autres critiquent au contraire la distance devenue trop importante qui rend l’EPS « illisible » pour les enfants et les parents.
Nous ne défendons aucun de ces deux extrêmes. Le cas de l’athlétisme est assez éclairant sur les risques qu’il convient d’éviter. Un excès de « scolarisation » peut lui faire perdre son sens et donc une partie de son intérêt éducatif reposant sur l’accumulation d’un patrimoine culturel (valeurs, techniques, forme de socialisation…). D’un autre côté une reproduction de ce qui se fait en dehors de l’école peut empêcher de mettre à la portée de tous ce patrimoine. Il y a donc un travail à faire pour tenir tous les bouts. Nombre de propositions dans ce « Contrepied » vont dans ce sens. Ces propositions peuvent être qualifiées d’« innovantes » dans la mesure où elles s’ancrent sur un refus du renoncement : ne pas renoncer à considérer chaque jeune comme « éducable », ne pas renoncer au souci de démocratisation, ne pas renoncer à transmettre une culture sportive qui, comme le disait justement Bernard Jeu, est fondamentalement une culture populaire !
- Nous partons du principe, pour reprendre les termes d’Alain Hébrard, que les APSA sont les « matières d’enseignement » de l’EPS et, comme toute matière scolaire, sont à la fois « objets et moyens »↩