Jean-Bernard Hubert, enseignant du primaire, Coutances, témoigne de l’évolution de son enseignement et des problèmes professionnels spécifiques à la natation
Claire : Lors d’un stage de formation continue, tu m’as dit ne pas aimer enseigner la natation parce que tu avais peur. Cela m’a frappée parce que d’une part, tu sais nager et d’autre part cela parait inconcevable d’enseigner quand on a peur. Suite au stage, réussis-tu à être plus serein tout en faisant progresser tes élèves ?
Jean-Bernard : Au niveau de la peur, c’est fini. Depuis le stage de formation continue, je n’utilise plus ni planches, ni ceintures, ni brassard, aucun support à part les câbles. J’ai été convaincu que pour apprendre, il faut éviter d’avoir ces supports. Ne serait-ce que pour s’immerger, avec des supports, les élèves sont bloqués.
Avant, surtout au départ, je n’étais pas serein. J’étais toujours en train de compter les enfants, de peur que l’un coule. J’avais toujours des parents dans l’eau, et je leur disais de surveiller ça et ça. Aujourd’hui, je n’en ai plus besoin. Maintenant les élèves sont tous seuls dans l’eau, je m’occupe des uns pendant que les autres nagent en autonomie, je n’ai plus l’appréhension que j’avais.
C : Tes élèves progressent-ils plus vite ?
J. B. : Je n’ai pas constaté d’écarts énormes. Pour certains, une minorité, c’est nettement mieux. Les élèves sont tous capables de faire minimum 10 mètres sans se tenir, la plupart font la largeur et un réussi la longueur et même le test départemental de 50m. Ce qui a changé, c’est la façon dont l’élève apprend, il a plus de sensations …
C : Peux-tu décrire ce que vous faites ?
J. B. : Nous avons 3 classes (GS CE1-CM2) on fait 4 groupes :
- un groupe de grande section,
- un groupe de débutants (grand bain),
- un groupe de débrouillés
- un groupe plus fort avec le MNS.
On répartit les élèves avec une évaluation diagnostique : là où les élèves ont pied, sans support, ils doivent traverser la largeur en se déplaçant comme ils veulent sans mettre le pied par terre et ils doivent s’immerger.
Cette année, j’avais 13 CE 1 et 3 CM2. La plupart ont déjà fait un cycle de natation en CP : ils mettent la tête sous l’eau mais ne vont pas obligatoirement chercher un objet au fond. Ils se déplacent facilement avec des câbles ou sur le bord de la piscine là où ils n’ont pas pied. Certains réussissent à se déplacer mais ne vont pas au fond (et inversement). Sans consigne spécifique, ils nagent la tête hors de l’eau.
Mes objectifs sont : qu’ils sautent ou plongent, qu’ils aillent chercher au fond et qu’ils nagent toute la largeur sans se tenir (en se tenant le moins possible), tête sous l’eau ou en prenant des inspirations. Ils peuvent être en apnée, je privilégie le déplacement et l’équilibre horizontal plus que la respiration (peut-être que certains soufflent mais ce n’est pas un objectif prioritaire).
La situation de référence est un aller et retour (25 mètres) sans s’arrêter. L’élève suit une ligne d’eau, il fait le retour en changeant de ligne d’eau et à l’arrivée, il va chercher un objet au fond (avec une perche si besoin). La particularité de ce parcours est que l’élève peut à tout moment se tenir à un câble ou à une perche. Le but est de faire le parcours sans se tenir, mais ce qui est rassurant, pour moi et pour eux, c’est qu’il peut toujours se tenir s’il veut. Evidemment au début, personne n’y arrive sans se tenir, mais c’est bien de poser le problème, ça leur donne un projet.
C. : C’est dans cette situation qu’ils apprennent ?
J.B. : En partie, il y a des variantes, par exemple, faire le parcours à deux (en s’entraidant, en se poursuivant). Je mets aussi des filins avec des marques qui permettent de voir s’ils battent leur record de distance sans se tenir.
Mais il y en a qui y arrive et d’autres qui ont du mal, c’est comme en maths ! A partir de là, je mets en place des ateliers : celui qui réussit travaille en autonomie en suivant des consignes précises. Pour ceux qui ont des problèmes, je fais un suivi plus individualisé. Exemple : je peux mettre en place un atelier de déplacement tête sous l’eau avec un filin, j’essaie qu’ils comprennent qu’il faut avancer avec la corde, la tirer sans relever la tête. Pour apprendre à nager le plus loin possible sous l’eau sans se tenir, je fais aussi des concours de glissées ventrales. Mais seulement quelques-uns y arrivent vraiment. La glissée ventrale (en surface), c’est très difficile : Il faut qu’ils poussent sur les jambes sur le bord du mur, et il faut rechercher l’alignement pour avoir moins de résistance à l’avancement. A niveau égal c’est plus facile avec les CM. Les CE1 ne comprennent pas la poussée sur le mur en s’allongeant, ils partent à l’oblique, ils ont du mal à sentir la glissée ventrale, ils ont tous la tête redressée, ils ne regardent pas au fond, et évidemment ils se retrouvent debout.
Nous faisons aussi des ateliers dans le petit bain, en alternant toutes les deux séances avec le groupe de GS. Nous faisons 5 ateliers de « plongée » : c’est-à-dire un travail de déplacement sous l’eau en apnée. Il s’agit dans toutes les situations de partir du bord, nager sous l’eau pour aller chercher des objets plus ou moins loin. Une fois qu’ils sont au bout du parcours ils peuvent respirer ou non et reviennent sous l’eau. Ces situations sont assez extraordinaires : dans le petit bain les élèves arrivent à faire plein de choses : des longs déplacements en apnée, ouverture des yeux pour aller chercher des objets de différentes couleurs. Et je me dis pourquoi ça fonctionne dans le petit bain et pas dans le grand bain ? C’est un problème que je n’arrive pas à résoudre.
C : Est-ce que les situations sont vraiment identiques ? Ne mettent-ils pas le pied par terre plus facilement ?
J.B. : Quasiment pas. La seule différence c’est que les distances sont plus courtes, c’est pour ça qu’on fait des aller et retour pour allonger les distances. Je préfère aussi travailler dans le petit bain parce que les situations qu’on met en place sont plus parlantes pour les élèves : « je vais essayer d’atteindre la première ligne puis la deuxième ligne… ». Le fait qu’il y ait des lignes tracées au sol ça les aide beaucoup. Quand on nous dit qu’il faut qu’ils aient un projet, là c’est flagrant, ils en ont un, celui de battre leur record de distance sous l’eau ! On les voit progresser mètre par mètre.
C. : Est-il vraiment possible de comparer petit bain et grand bain ? Il me semble que ton parcours dans le grand bain est beaucoup plus long et du coup, le problème est différent…
J.B. : Quand nous retournons dans le grand bain, je leur dis, la semaine dernière vous avez fait ça dans le petit bain, aujourd’hui on essaye de faire pareil mais c’est global, il faudrait observer élève par élève et comparer vraiment les distances parcourues, faire quelque chose de plus rigoureux, ce n’est pas facile !
Dans le grand bain, quand ils sont partis au loin, on voit un enfant et on se dit « tiens il faudra que je lui dise ça » et puis on regarde un autre enfant et on oublie ce qu’on devait dire au premier. Ou alors on lui dit – plutôt on lui crie quelque chose – mais il a le bonnet sur les oreilles, il nage, il n’entend rien et il y en a un autre qui part et quand le premier revient, on est en train de parler à un autre enfant, et celui a qui on voulait dire quelque chose, repart et on ne l’a pas vu. Ce n’est pas facile à gérer, on essaye de faire ce qu’on peut mais je ne suis pas satisfait.
Le problème qu’on a là, on l’a aussi en classe. On a des enfants qui travaillent très vite et d’autres pour qui il faut faire du soutien.
En classe, on y arrive, dans le gymnase on y arrive, à la piscine, on y arrive moins bien ! Il faudrait pouvoir intervenir tout de suite pour aider l’élève, et là, la situation matérielle fait qu’on ne peut pas aller près de l’élève et c’est plus difficile.
C. : Et les fiches d’observation ?
J.B. : Pour moi, ça pose problème, je n’arrive pas à tout noter… j’ai essayé avec les élèves qui remplissent eux-mêmes les fiches d’observation ; c’est une catastrophe, les fiches sont mouillées, inutilisables. Je l’ai fait pour le petit bain avec les ateliers. Ce n’est pas satisfaisant … on ne peut pas faire attendre les enfants parce qu’ils ont froid. Sans compter que ce ne sont pas des élèves qui sont avec moi en classe et qu’ils font plus facilement les zouaves!
C. : En tant que formateurs, nous avons tendance à sous estimer les problèmes pédagogiques. Il faudrait prendre en compte tes remarques à la fois du point de vue didactique, travailler sur la comparaison avec le PB-GB par exemple, mais aussi les problèmes de la gestion de classe : comment faire prendre conscience des problèmes à l’élève en prenant en compte le fait que tu ne peux pas intervenir en direct, que ce ne sont pas tes élèves et que tu pourras difficilement les avoir en classe après… Quel pourrait être le travail d’équipe en natation ?
J. B. : Notre école est un RPI (regroupement pédagogique intercommunal) qui se trouve sur 2 communes (5 classes + 2 classes). Je ne connais pas les enfants que j’ai à la piscine. Avec les collègues, nous n’avons pas le temps de communiquer à la piscine. Je ne sais pas ce qu’ils font. On est chacun pris par notre activité (toujours un peu angoissé !). A la fin du cycle, je fais une évaluation et je la transmets à la collègue.
Pourtant, des réunions, on en fait beaucoup ! Projet d’école, analyse des enfants, défi lecture, USEP, réception des parents… et être en RPI ne rend pas les réunions totalement efficaces. Il faudrait peut-être institutionnaliser les réunions « piscine » ! Avec les MNS, nous n’avons pas de contact. Au niveau de la préparation matérielle, ce sont les collègues qui ont le premier créneau qui installent le matériel. Cette année, les MNS apportaient le matériel au bord et je l’installais dans l’eau. Cela a duré 10 séances et nous perdions 10 minutes sur chaque séance de 45 minutes. Les enfants attendaient, criaient, cela mettait en condition !! Quant aux relations avec le MNS qui a un groupe, il n’y a pas de communication sur son activité, donc manque de connaissances sur les acquis des élèves. Il fait passer le test départemental que nous lui demandons et qui sera transmis au collège pour la piscine et la voile.
Ceci dit, on a l’impression que tout va bien, qu’il n’y a pas de problème. Moi, avec mon groupe, c’est tout le contraire j’ai l’impression que les enfants ne progressent pas assez vite. Peut-être suis-je trop ambitieux ? Et pourtant, en EPS, j’ai des outils pour analyser le comportement des enfants, dans d’autres disciplines, je suis pus démuni. En français par exemple, quand un enfant n’arrive pas à lire, je ne sais plus comment procéder après avoir essayé différentes formes pédagogiques (travail individuel, collectif, groupe) par l’oral, par l’écrit. J’essaie de transférer ce que je connais en EPS (partir des échecs pour reconstruire, travailler par atelier, travailler en autonomie, leur apprendre à s’organiser). Peut-être est ce plus adapté à l’enseignement de l’EPS parce que les élèves nous donnent des réponses bien visibles et il est possible de les faire évoluer par une prise de conscience de leur problème…
Entretien réalisé par Claire Pontais et paru dans la revue Contrepied N°7 « Utopistes … Nageons ! »