Plaidoyer pour vocabulaire commun dans nos APSA : l’exemple du badminton

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Lionel Dembourg présente ici les problèmes du langage technique en badminton. Son unité est interrogée. De fait, entre l’EPS et le milieu fédéral, il peut exister des distorsions qu’il convient peut-être de réduire…

Comment tiens-tu ta raquette pour jouer au filet ? En prise courte, en prise pince, en prise de contre amorti ou en prise coup droit ?

Trop d’appellations pour une même consigne rendent la communication peu précise. Ce constat est valable pour la discipline EPS mais il l’est aussi (dans une moindre mesure) au niveau fédéral, notamment d’une région (ligue) à l’autre.

Nous allons essayer dans cet article de faire émerger les enjeux d‘un vocabulaire consensuel pour la communauté badminton. Notons que dès 2017 lors de son séminaire annuel, la C3D Bad, évoquait la terminologie en badminton parmi les thèmes de travail des années suivantes. En juillet 2022 la ligue Occitanie a organisé une formation sur ce thème, qui s’est avérée extrêmement riche en questionnements, remises en cause.

Prenons quelques exemples. Certains termes font plutôt l’unanimité comme la prise universelle (même si elle apparaît parfois sous l’idée de prise neutre) ou la notion de reprise d’appuis. Pourtant dans les ouvrages (certes parfois un peu anciens) on trouvera pour cette dernière notion des terminologies variées : sursaut d’allégement, sursaut de démarrage, double appui, position d’attente (qui n’est en soi pas la même notion que la reprise d’appuis) …. D’autres termes sont peu utilisés sans pour autant créer de contre sens : exemple du rush  étant un kill joué avec un déplacement du joueur qui va « jaillir » (se ruer) vers le filet (pour rappel le kill est un coup au filet qui a pour but de rompre l’échange par une trajectoire rabattue avec très peu d’armé ni d’accompagnement de raquette car étant joué alors que le joueur est très proche du filet). Mais pour d’autres terminologies c’est plus complexe. Comment définir une frappe main haute ou main basse ? Par la référence à la hauteur d’épaule ? du bassin ? Par la comparaison hauteur main/tamis ? En 2015 la fédération a tranché pour cette dernière solution sans que celle-ci n’ait réellement été prise en compte par la majorité des acteurs du badminton (soit par manque de communication, soit par non adhésion des entraîneurs/professeurs d’EPS). Si je joue en dégagement dans le retard je peux frapper main haute tout en ayant un point d’impact situé sous ma ligne de hanches ! Définir une main haute en rapport avec la position de raquette tout en utilisant cette terminologie pour la distribution des volants à la main entretiendra à coup sûr des confusions !

Les exemples mentionnés ci-dessus, nous amènent à poser une question plus large : faut-il un vocabulaire commun ?

Faut-il un vocabulaire commun ?

Cette question mérite d’être posée même si on trouvera quelques arguments évidents :

  • Pour communiquer de la même façon sur tout le territoire. Ce serait utile dans le cas d’élèves ou de joueurs qui changent de région. Mais également pour les candidats au concours afin d’éviter toute mésentente avec les jurys (certains collègues n’acceptent que le terme de dégagement alors même que celui de « dégagé » reste communément utilisé).
  • Pour communiquer plus vite : utile pour le coaching (notion de plus en plus intégrée à l’UNSS et même en EPS) mais aussi pour les consignes en séances.
  • Pour une « culture commune du bad » qui permettrait à cette APSA de se forger une culture encore trop encadrée sous le prisme du tennis (rappelons que jusqu’en 1979 le badminton est rattaché à la fédération de tennis et aujourd’hui encore certains collègues EPS font un traitement didactique de cette APSA emprunté au tennis. (Ex le lob au tennis est un coup de défense ou de contre-attaque alors qu’au badminton il est éminemment un coup d’attaque (le terme de « lift » étant utilisé pour caractériser un lob de défense)
  • A ce titre la classification actuelle en 5 champs est clairement moins propice à du vocabulaire commun que les anciens 8 groupements (programmes de collège 1996) qui regroupaient les sports de raquette dans un même « champ d’apprentissage ». Dès lors, la terminologie spécifique à une seule APSA va s’imposer comme culture spécifique.

Quels pré-requis pour une sémantique commune ?

Des choix pas si évidents pour que ce « langage commun » soit adopté par le plus grand nombre !

  • Faut-il adopter les racines Anglo-Saxonnes du badminton ou inventer des équivalents français ? Drive, Kill, Slice sont adoptés (faut-il leur trouver une traduction française ?) quand « finger power » que l’on pourrait traduire par « avoir des qualités de main » est trop souvent réduit au « relâché-serré », préambule au finger-power. Un débat réalisable avec nos élèves et qui pourrait déboucher sur des collaborations avec nos collègues d’anglais/français.
  • Respecter le sens de la langue française ? Si cela semble une évidence dans une logique scolaire (et de formation transversale des APSA) cela ne va pas forcément de soi. Par exemple, un revers se définit par le Larousse comme un « coup effectué à gauche par un droitier ». Encore prédominance du tennis car en tennis de table le référentiel le plus admis est celui de l’axe du coude mais en badminton il pourrait aussi se définir au regard de la prise de raquette, me permettant de jouer des revers côté droit du corps.
  • La quantité de vocabulaire commun est aussi un enjeu. A trop détailler on prend le risque que les pratiquants, enseignants et entraîneurs n’adhèrent pas. Mais en laissant des zones d’ombres, chaque technicien aura tendance à « inventer » du vocabulaire. La prise revers en est l’exemple car finalement je ne vais pas poser mon pouce de la même façon pour jouer un revers au filet et un revers dans le retard en fond de court. Chez les anglo-saxons on retrouve donc la prise bevel grip avec le pouce qui repose sur le petit méplat pour les revers en dégagements ou dans le retard et la prise thumb grip, pouce sur le grand méplat, utilisée essentiellement avec un plan de frappe avancé (exemple en drive, service revers)

Des choix pas si évidents pour que ce « langage commun » soit adopté par le plus grand nombre !

  • Éviter les sens multiples. Le terme de fixation… sous-entendu de la tête de raquette (armé précoce et marqué, exagéré, pour montrer à mon adversaire que j’ai plusieurs frappes possibles) est parfois confondu avec la fixation spatiale (jouer plusieurs fois dans la même zone pour fixer son adversaire). 
  • Qui ferait les « mises à jour » nécessaires en fonction des évolutions de l’APSA ?
  • Pourquoi ne pas proposer un groupe de travail qui récolterait les propositions des collègues EPS/Staps/fédération ?

Des trous dans la raquette…

Oui des trous… qui ont leur cohérence. Au-delà des termes qui restent peut-être à identifier (à l’image de l’exemple des prises de revers) il y a aussi des professeurs et entraîneurs qui en inventent pour s’adapter à leur public. Notamment avec nos élèves les plus jeunes, certaines métaphores sont bien utiles. Le sursaut d’allègement permet de comprendre qu’on n’a pas besoin de « sauter ». L’idée de « relâcher-fouetter » pourra faire émerger une meilleure accélération de la tête de raquette.

Notons également que la majorité des débats sémantiques se placent sous le prisme de la technique (par exemple les appellations des prises de raquettes) mais que de nombreux éléments plus tactiques seraient très riches à approfondir – comparer. On peut citer l’exemple des notions de théorie des angles et centre de jeu (la première étant bien connue au tennis et la seconde plus appliquée au badminton) ou encore la notions de croiser décroiser (parle-ton d’un coup croisé ou d’une trajectoire croisée et quelles incidence tactiques sur le jeu ?)

Quelle sont les causes de cette situation assez caractéristique dans le champ des sports ? Pourquoi ce manque d’homogénéité dans l’APSA badminton ?

Quelques hypothèses :

  • C’est une discipline plutôt jeune à l’échelle fédérale.
  • Des productions au départ souvent mixte EPS/fédé 1 créent une certaine unité. Mais ensuite avec l’expansion du nombre de licenciés (de 24000 licenciés en 1992 on passe à 164000 en 2012)2 la FFBaD publie des supports qui restent souvent inconnus des enseignants, à l’image des OTHN3 ou du dispositif jeunes4. Pourtant ce dernier outil, s’adresse très clairement au public en âge scolaire et a été conçu en partie par des enseignants d’EPS en la personne d’Eric Silvestri. Le fait qu’il soit publié par la fédération explique peut être sa méconnaissance dans le monde de l’EPS ?
  • Ce dernier point pouvant s’expliquer par une entrée tardive du badminton au Capeps (2011).
  • De nombreux professeurs EPS qui enseignent le badminton sans avoir pu pratiquer cette APSA « nouvelle », le font à partir de base de tennis ou tennis de table. 

Conclusion

 Si la diversité de vocabulaire pour une même notion peut avoir ses avantages (notamment d’alimenter une réflexion sur les concepts), un minimum commun devrait permettre de poursuivre l’émancipation du badminton vis-à-vis du tennis, de renforcer les liens fédération-scolaire. Ce dernier point nous semble la condition fondamentale pour une vraie utilisation d’un vocabulaire commun par tous les acteurs du bad.

Cet article a été produit par Lionel Dembourg (Prof agrégé EPS – DE badminton), formateur au Staps de Font-Romeu (université de Perpignan)et publié en septembre 2024.

Pour écrire à l’auteur Lionel.dembourg[@]univ-perp.fr

  1. Grunenfelder F.et Couartou G. « Badminton, de l’école aux associations » ed EPS 2001 ou encore Ferly B. Gallet B. et Papelier G. « Les fondamentaux du badminton » Amphora 1998
  2. Site FFbaD chiffres exacts 1992 24174 licenciés ; 2002 91782 licenciés et 2012 163956 licenciés
  3. OTHN pour orientations techniques vers le haut niveau (FFbaD 2015)
  4. Document de la DTN de la FFBad 2010