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Contribution signée Christian Couturier – Centre EPS & Société


Continuer à explorer, à faire discuter… en fait, porter attention à ce morceau d’histoire humaine qu’est l’EPS relève d’une nécessité vitale. Les débats et controverses sont quasi inexistants. Un soubresaut récemment avec l’initiative de l’ENS [[L’Ecole Normale Supérieure de Rennes a organisé des Assises de l’EPS donc les vidéos sont visibles sur youtube. Notons également l’excellent ouvrage de D. Delignères « On peut toujours penser autrement » (Ed Revue EPS) qui balaye toutes les questions liées à l’EPS et aux choix politiques qui l’organisent.]]. Mais qui organise, à part le SNEP et le Centre, des rendez-vous publics pluriels ? Personne.
Nous continuons donc à prendre soin de l’EPS en livrant à la réflexion de la profession des points de vue variés de collègues.

Aujourd’hui c’est demain

Partons d’une phrase issue des contributions de ce dossier : « penser l’EPS dans toutes ses réalités ». C’est bien là que le bât blesse.
Pour paraphraser Woody Allen, on pourrait dire qu’il faut bien s’occuper de l’avenir parce que c’est là que nous comptons passer nos prochains jours… Mais s’occuper de l’avenir c’est soigner le présent. Pour cela il faudrait a minima un bilan sérieux et partagé. Un bilan qui croise les regards et les approches, sociologiques, historiques, psychologiques… pour véritablement en appréhender « toutes les réalités ». Or c’est un sujet totalement absent des préoccupations institutionnelles. Le problème c’est qu’aujourd’hui la plupart des constats utilisés dans notre discipline, dont certains font florès et sont récurrents dans les discours, ne reposent sur aucune donnée. Le cas le plus flagrant est celui de « l’éternel débutant » qui ne renvoie qu’à un cumul d’impressions plus ou moins fondées. C’est de même nature que « le niveau baisse » à l’Ecole. Les propositions portant une EPS « alternative », notamment lorsqu’elles proviennent de l’administration, devraient se baser sur un bilan à corriger, ou bien sur un désir… Mais il faudra démontrer alors que leur satisfaction rendra l’EPS meilleure qu’elle ne l’est, ce qui est loin d’être évident. D’autant que, pour ne rester qu’autour de chez nous, en Europe, nombre de modèles différents d’EP ou d’EPS coexistent. Aucun actuellement ne prouve sa supériorité face au nôtre. Poussons même un peu le raisonnement : aucun pays n’a réussi à développer ses structures comme la France l’a fait. Et pour l’avenir, qui ose, comme le fait le SNEP-FSU par exemple, revendiquer une augmentation de l’horaire pour tous et toutes comme base d’une transformation qualitative de l’EPS ? Une conclusion s’impose : pour peaufiner notre projet d’avenir, cultivons notre jardin.

Vous reprendrez bien une tranche d’émotions ?

La question des émotions a toujours été présente, peu ou prou, dans les textes régissant l’EPS. Le sujet revient en force[[Voir la contribution de J. Visioli et E. Petiot. Mais le contexte général de « retour sur soi », de centration sur ses « ressentis » pèse évidemment sur le sujet.]]. Mais force est de constater qu’au travers des différentes formes d’écriture, pendant longtemps, il s’agissait principalement d’apprendre à maitriser, contrôler, « gérer » ses émotions. Aujourd’hui, on perçoit un déplacement de la problématique vers une prise en compte plus complexe.

Au Centre EPS et Société, deux références majeures nous servent de grille de lecture de cette thématique. L. Vygotsky pour une part et B. Jeu d’autre part. Deux approches différentes bien évidemment, mais qui se complètent dès lors que l’on promeut un projet social et culturel pour l’EPS dont la finalité principale est le développement de l’élève, dans sa globalité et sa plénitude. Ces deux auteurs nous aident à mieux caractériser les éléments à prendre en compte pour une EPS d’avenir.

« Celui qui dès le début a accepté de séparer pensée et affect s’est ôté à jamais la possibilité d’expliquer le mouvement de la pensée. Cette explication exclut aussi bien l’attribution à la pensée d’une force magique capable de définir le comportement de l’homme par elle-même que la transformation de la pensée en un inutile appendice du comportement, en son ombre impuissante et vaine ». Cette citation de Lev Vygotsky a révolutionné la psychologie de l’époque en refusant d’établir un lien hiérarchique entre pensée et émotion. Pourtant la tentation est grande à l’Ecole, où les comportements des élèves tendent à récuser la « forme scolaire » (silence, immobilité, écoute, obéissance…), d’imaginer une EPS contributive dont la fonction serait de calmer les ardeurs, à défaut d’utiliser le terme désuet d’humeurs.
Au passage, il est affligeant de voir écrit dans le socle commun[[Bulletin officiel n° 17 du 23 avril 2015]] que, grâce aux APSA, « Il (l’élève) apprend ainsi le contrôle et la maitrise de soi. » Cette phrase, qui résonne avec les propos précédents, introduite sous pression du SGEN-CFDT et adoptée par la Dgesco[[Direction Générale des enseignements scolaires]], montre à l’évidence que les conceptions rétrogrades sont encore vivaces.
Il n’y a pas un centre supérieur, sur le modèle informatique, qui gère et contrôle. L’Humain est sa pensée, ses émotions, son histoire… Dans ce sens, il n’est jamais fini. Il apprend, tout le temps. Mais ce à quoi nous invite finalement une centration plus effective sur les émotions est le passage d’un élève abstrait, générique, à un élève concret, c’est-à-dire en mouvement perpétuel, dans lequel les émotions jouent un rôle important, soit par exemple en l’inhibant, soit au contraire en le galvanisant. Entre ces deux extrêmes il peut exister toute une gamme de ressentis[[Le terme « ressentis » semble très lié à celui d’émotion dans la littérature professionnelle]] possibles.
C’est là que notre deuxième auteur de référence, B. jeu, nous aide à saisir en quoi l’EPS, à travers le sport notamment, peut mettre chaque élève en situation de viser un projet qui l’anime et le dépasse. En liant l’émotion à l’espace de jeu qu’est le sport, B. Jeu donne à l’action humaine, aux prises avec une APSA, une dimension épique qui peut servir de moteur.

En liant l’émotion à l’espace de jeu qu’est le sport, B. Jeu donne à l’action humaine, aux prises avec une APSA, une dimension épique qui peut servir de moteur.

L’épreuve, la performance, la compétition propose à chaque pratiquant-e une aventure qu’il faut appréhender. Pour relier les 2 auteurs, chose risquée mais j’ose m’y lancer, on peut dire que la prise en compte de ses propres émotions, ses ressentis, bref, son « intériorité », ne peut se faire qu’en se confrontant aux émotions extérieures à soi, inscrites, sédimentées dans l’histoire des différentes APSA, notamment par ce qu’elles proposent de mise à l’épreuve, de recherche de performance et de compétition.

APSA et centration sur soi ne s’excluent pas (…)mais sont réciproquement la condition du développement l’une de l’autre.

Pas de développement humain, culturel, sans émotion !


Bref non seulement APSA et centration sur soi ne s’excluent pas, comme pourrait le laisser penser une certaine organisation de l’EPS en champs d’apprentissages, mais elles sont réciproquement la condition du développement l’une de l’autre. Pas de développement humain, culturel, sans émotion !

Les mots pour le dire

Le positionnement de l’EPS dans le socle commun sous la bannière du domaine 1 « Les langages pour penser et communiquer » pourraient l’engluer dans une discipline contributive à d’autres enjeux, sans doute supérieurs : « penser et communiquer ». On pourrait dire la même chose des autres domaines.
La première phrase qui nous concerne spécifiquement est la suivante : « Il (l’élève) s’exprime par des activités, physiques, sportives ou artistiques, impliquant le corps ». Si l’on cherche la précision alors la compréhension n’est pas celle d’une discipline contributive puisque les APSA sont en elles-mêmes un langage : l’élève s’exprime par… L’institution, dans de nombreuses académies, nous enferme dans un contre-sens en demandant à ce que le projet local d’EPS explicite en quoi la discipline contribue à l’acquisition du domaine. En fait l’EPS étant un langage propre et spécifique, elle ne peut se dissoudre dans le domaine.
En allant vite on peut a minima distinguer deux formes de langages qui nous intéressent à plusieurs titres. Tout d’abord ce qu’on appelle communément le langage corporel non-verbal qu’il faut développer chez les élèves. Dans chaque APSA, ce qu’on fait physiquement, établit une communication avec les autres (spectateur, partenaire, adversaire…) dont il convient de partager les éléments essentiels (dans telle activité lever le bras signifie que… mais peut avoir une autre signification dans une autre) pour que chaque élève enrichisse sont répertoire. Ensuite, une seconde forme de langage qui est peu explorée car peu valorisée par l’Ecole : c’est le langage technique spécifique à chaque APSA[[Voir à ce propos l’évocation de cette question dans la contribution de Chevrollier.]]. S’approprier une APSA, un objet culturel, c’est aussi s’approprier son langage. Encore une fois partager avec les autres humains, nos prédécesseurs, mais aussi acteurs du moment, un espace dans lequel « on se comprend ». Ce n’est pas rien, c’est ce que d’aucuns avaient identifié comme « partager une tranche de vie ».
En conclusion de ces réflexions rapides, s’il faut identifier, pour les corriger, les « maux » de l’EPS, l’appropriation de ses « mots » nous ouvre des pistes d’avenir. En tout cas, c’est également un outil pour « vitaminer »[[Adjectif utilisé dans l’enquête de C. Pontais]] toutes nos classes à l’EPS

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