Quelle pratique des APSA dans une formation universitaire ? L’exemple de la natation 

Temps de lecture : 12 mn.

Alain Catteau, formateur en natation au STAPS d’Orsay, nous livre son expérience pour que les étudiants transforment leur rapport aux savoirs et aux APSA. Il montre qu’il est possible d’avoir un rapport exigeant à la fois à la théorie et à la pratique. ou comment former des polytechniciens.

Préciser la spécificité de nos formations dans leurs relations aux visées professionnelles, à la culture, aux pratiques des activités physiques et sportives, aux théories de ces APSA ainsi qu’aux connaissances scientifiques est un enjeu pour l’existence de l’EPS et des STAPS. Mon propos est d’interroger ma propre pratique de formateur dans le cadre universitaire. Quel sens y a-t-il à proposer une pratique dans les activités physiques et sportives dans une formation universitaire ? Quel cadre doit structurer cette pratique ? De même, qu’est ce qui légitime d’enseigner une théorie de cette activité physique et sportive ? A quoi sert cette théorie dans la formation des étudiants ? Quels contenus sont enseignés dans le cadre de cette théorie ? Quelles relations entretiennent les théories des APSA avec les connaissances scientifiques ? Pour faire sens, comment dans la formation faire du lien entre une pratique vécue d’enseignement / entraînement / apprentissage dans une APSA, la théorie de cette APSA, les connaissances et théories scientifiques ? 

Trois séquences de formation vont structurer mon propos. 

Former des polytechniciens des APSA par la pratique 

Cadrons concrètement la pratique des APSA. Il s’agit ici du combat pour la réussite pratique de tous ou du plus grand nombre, pour l’acquisition d’une culture commune polyvalente dans les APSA. L’orientation vers les STAPS se fait souvent sur la base d’une APSA de prédilection. A l’enfermement dans son APSA, nous opposons une ouverture culturelle, dépassement de ses propres limitations et effets de déterminants socioculturels. Former consiste sans doute comme l’évoque M. Serres dans «le Tiers Instruit» à contrarier des penchants «naturels». Les études STAPS imposent d’explorer non seulement les APSA familières et appréciées ou parfois d’excellence mais aussi de se mettre à l’épreuve dans des APSA ignorées ou délibérément mises de côté car sources de difficultés prononcées.

Former consiste sans doute comme l’évoque M. Serres dans «le Tiers Instruit» à contrarier des penchants «naturels».

Notre ambition est de former des polytechniciens des APSA en mettant l’accent sur la résolution des problèmes spécifiques notamment perceptivo-moteurs posés par la pratique de la nage.

Des épreuves qui contraignent à apprendre

La formation en pratique entre dans ce cadre horaire : 18 heures en L1 pour tous les étudiants, 18 heures en L2 pour les étudiants qui choisissent cette pratique en concurrence avec d’autres, 20 heures en L3 pour les étudiants qui choisissent la filière éducation et motricité. Nos choix didactiques en matière de programme répondent à une double exigence : celle de proposer des épreuves qui ne sont pas réussies initialement par tous les étudiants mais qui peuvent l’être par tous, celle d’engager les étudiants dans la voie d’apprentissages effectifs rompant avec des modalités de nage usuelles et amenant des transformations radicales dans leur fonctionnement de nageur. Les contenus des épreuves de natation sont programmés ainsi : 200 m crawl en L1, 400 m crawl et 200 m 4 nages en L2, 100 m spécialité au choix de l’étudiant en L3. La logique est la suivante : la construction et la consolidation de la continuité d’un corps propulseur et projectile par l’adoption de solutions ventilatoires intégrées à la nage sont à la fois condition et résultat d’une nage sur des distances de plus en plus longues en crawl et sans temps d’arrêt. Cette compétence construite, et encore en construction, se réinvestit dans des modalités de nage variées dans une épreuve de 200 m 4 nages. L’ouverture sur des possibles différents que constituent les quatre nages permet alors d’effectuer en L3 un vrai choix. 

Nous adoptons une définition réglementaire du crawl comme nage ventrale avec des actions alternatives des membres supérieurs et inférieurs et des retours aériens des bras ; la tête est immergée et l’inspiration se prend sur la durée du passage aérien d’un bras. Les distances doivent être réalisées en continu sans temps d’arrêt notamment aux virages. Ce cadrage réglementaire énonce des contraintes fortes orientant les étudiants dans la perspective nécessaire de construire des solutions de nage non spontanées notamment ventilatoires (expiration active volontaire immergée et inspiration aérienne sans recourir à l’appui d’un ou des membres supérieurs).

Des épreuves de sauvetage sont également programmées en progressivité pour répondre en L3 aux exigences de l’épreuve du CAPEPS. Elles nécessitent la construction de capacités d’immersion profonde et prolongée et de propulsion par les jambes. 

La transformation de sa manière de nager pour réussir une performance mesurable et mesurée dans l’épreuve d’évaluation terminale suppose des déconstructions de toutes sortes : attitudes mentales et émotionnelles, stratégies, coordinations automatisées. La recherche de nouvelles solutions mises en œuvre de manière limitée est à automatiser et à stabiliser par la répétition, et dans la confrontation stressante à des épreuves officielles chronométrées.

Dans ce travail d’apprentissage /enseignement, l’étudiant doit momentanément accepter les limites révélées de ses capacités actuelles. La comparaison spontanément établie dans le groupe n’est pas toujours favorable à l’image de soi. Les réactions des autres devant les maladresses peuvent devenir des freins à l’engagement dans l’activité. Se déclenchent des conflits avec l’enseignant ou des tensions internes entre le désir d’abandonner et la volonté d’y arriver par des efforts redoublés. Plutôt que d’espérer dans des transformations radicales de manières de faire qui ne sont pas simples à opérer (stratégies plutôt développées par les filles), l’étudiant peut être tenté de projeter sa réussite future par l’intensité de l’effort et de l’engagement qu’il déploiera le jour de l’évaluation terminale. Les tensions croissent avec le rapprochement de l’échéance, car non seulement il faut réussir mais le temps pour réussir est compté.

La formation par un projet d’apprentissage

Quel est donc le sens de la pratique des APS en STAPS ? La pratique est formatrice si elle propose un réel projet d’enseignement / apprentissage dans lequel vont simultanément s’engager étudiants et formateurs pour déboucher sur des compétences nouvelles. Pour l’étudiant, il s’agit tout en étant guidé de poursuivre un projet de développement de soi, et de construire des attitudes positives aux antipodes de tous les fatalismes. Pour le formateur, tout au long du processus de formation, il lui appartient d’assumer ses choix didactiques, la mise en œuvre concrète lui impose d’être vigilant et novateur face aux difficultés et obstacles que rencontrent les étudiants.

Des transformations techniques grâce à de nouvelles coordinations

A cet égard, j’évoque une séquence d’intervention récente, qui jusqu’ici ne faisait pas partie de mes routines professionnelles. Cette intervention se situe au cours d’une phase didactique dans lequel l’objectif essentiel consiste à maintenir le grand axe du corps comprenant la tête et les membres supérieurs sur l’axe de déplacement le plus longtemps possible. Je constate pour un étudiant un arrêt de l’action des bras le long des cuisses (comportement observé assez souvent et qui est problématique pour organiser la sortie à l’air des voies respiratoires et inefficace pour la propulsion). A quelle logique obéit-il et comment lui en faire changer ? Je fais l’hypothèse qu’il s’agit là d’une coordination spontanée, je propose à l’étudiant de sortir de l’eau pour reproduire une autre coordination que je lui démontre au bord du bassin en variant les fréquences et les vitesses (cette coordination de rotation alternative et successive des bras dite «en rattrapé» présente un temps d’arrêt marquant le début et la fin de l’action d’un bras lorsque les bras sont allongés verticalement vers le haut dans le prolongement du corps. L’imitation est difficile, la coordination en rattrapé bras ballants le long du corps est prégnante. Je propose donc à l’étudiant de s’entraîner chez lui pour sortir de la coordination «attractive» pour intégrer dans son propre répertoire cette nouvelle coordination radicalement opposée. Lors de la séance suivante, je suis surpris de constater que des transformations se sont opérées.

La théorie : un outil pour mettre en accord principes et pratiques

La pratique est finalisée par des valeurs et des principes. Mettre principes et pratiques en accord, cela n’est pas si simple. Le réel résiste et ce n’est que par la persévérance et la recherche de solutions innovantes que l’on peut tendre vers une plus grande cohérence. Nous sommes convaincus et militons pour une possible réussite de tous, or bon an mal an, ce sont 80 % des étudiants qui réussissent l’épreuve de 200 crawl. Fatalité ? Non, dans les conditions actuelles de pratique, nous ne parvenons pas totalement à renverser les rapports aux savoirs, la responsabilité de l’échec est partagée. 

L’intervention de l’enseignant dans la pratique s’organise sans nul doute sur la base de routines mais l’empirisme ne fonde pas seul l’intervention, des savoirs théoriques s’y investissent (on aura repéré dans l’exemple précédemment cité l’influence des théories et des concepts de l’approche dynamique) et sont mis à l’épreuve. 

La théorie : des outils de compréhension du monde 

Le combat pour la réussite se double d’un autre combat : celui de la construction par les étudiants des outils de compréhension du monde et des actions sur le monde. Je prends exemple ici sur la théorie enseignée en L1 polyvalence natation sur une durée de 6 heures parallèlement à la pratique. Il s’agit de communiquer aux étudiants des connaissances utiles pour comprendre l’interaction homme /eau dans son activité de locomotion aquatique. Dans ce cadre, nous abordons les questions relatives à l’hydrostatique, à l’hydrodynamique, aux fonctions d’équilibration, de respiration, à la technique du crawl.

La théorie pour la compréhension des raisons ou des conditions de la réussite en actes

Le sens de la théorie est d’assimiler des connaissances pour comprendre. Certes on peut réussir sans comprendre comment et pourquoi l’on réussit, on peut également comprendre intellectuellement les phénomènes en jeu sans parvenir à réussir concrètement. L’enjeu de la formation en STAPS se doit de relever ce double défi d’une réussite en actes et d’une compréhension des raisons ou des conditions de la réussite. 

La formation théorique ne remplit pas un vide, les étudiants disposent, a priori, d’un système d’explication des phénomènes. Ces représentations initiales parfois erronées constituent de véritables obstacles à l’appropriation de représentations plus rigoureuses et plus rationnelles et peut-être aux réussites en action. Citons ici quelques exemples de représentations initiales : un corps flotte parce qu’il est léger, dans l’eau on est plus léger, on flotte mieux quand on est allongé, l’origine de la difficulté respiratoire c’est l’inspiration, l’activité respiratoire est déconnectée de l’activité musculaire sollicitée, l’action propulsive commence dès que les mains entrent dans l’eau et s’achève lors de leurs sorties …etc. 

Analysons l’affirmation on flotte mieux parce que l’on est allongé. Pour la justifier, le raisonnement prend appui sur une représentation schématique : une silhouette est dessinée de profil en position verticale, une autre est dessinée horizontalement. La poussée d’Archimède est représentée ainsi: une ou deux flèches sont dessinées sous les pieds de la première silhouette et sous la silhouette horizontale une vingtaine de flèches sont orientées vers le haut. Ces représentations schématiques confortent une idée erronée : on peut dessiner davantage de flèches sous la figurine en position horizontale donc la poussée d’Archimède est plus importante car la «surface d’appui» est plus étendue. À de telles représentations solidement ancrées, on comprend que le texte du cours ne se substituera pas facilement. La poussée d’Archimède n’a rien à faire d’une «surface d’appui» puisque son intensité dépend du poids du volume de liquide ou de gaz déplacé. C’est une autre formulation plus juste mais paradoxale qui s’impose: la chance de flotter s’accroît avec l’intensité de la poussée d’Archimède et donc avec le degré de volume d’immersion du corps. La connaissance scientifique suppose de dépasser l’apparence du concret et impose la construction d’un système de concepts et de représentations à emprunter à la physique. Dans le contexte actuel de cours magistraux en amphithéâtre, on comprend la difficulté à réussir cette transformation. Avertis de ces obstacles nous usons néanmoins dans nos cours de quelques stratagèmes en faisant appel soit aux expériences vécues en pratique, soit à des présentations d’images ou de séquences vidéo ou encore à des questions incitant la réflexion des étudiants. L’exposé des réponses des étudiants permet de mettre à jour et de débattre des conceptions en montrant leurs failles. La connaissance procède de rectifications successives d’erreurs, le savoir scientifique n’est pas achevé et demeure en construction. La formation doit permettre aux étudiants de développer des postures de curiosité active, d’engagement et d’écoute par les débats et contradictions qu’elle instaure.

La théorie: un combat pour développer une attitude avertie, rationnelle et critique.

Il s’agit ici, avec les étudiants optionnaires natation de L3, de mettre en question des idées répandues sur les techniques. Soit elles seraient la pure expression de ce que réalisent les meilleurs champions d’une époque, il suffirait donc de décrire ce qu’ils font pour les imiter, soit la technique ne serait que pure déduction de lois essentiellement physiques ou mécaniques qu’il conviendrait donc d’appliquer concrètement. Selon nous, la technique est une construction et il y a lieu de distinguer les techniques mises en œuvre par les nageurs et les discours techniques tenus à propos de ces mises en œuvre. Ces derniers procèdent d’une certaine modélisation de l’action et de conceptions relatives à l’enseignement.

Pour développer une lecture fonctionnelle de la nage, nous mettons en place une démarche d’observation armée. Nous proposons pour chacune des nages de courtes séquences vidéo de nageurs experts de niveau national dans deux conditions de vitesse : maximale sur 25 m et à la vitesse d’un 200 mètres. Nos propres étudiants optionnaires sont conviés à une séance de prises de vue dans lesquelles ils nagent dans tous les modes de nage selon les conditions de vitesse précitées. La caméra est placée sous la surface et immobilisée. Les nageurs traversent le champ couvert par l’optique de la caméra. Ces conditions de prise de vue inhabituelles sont nécessaires pour pouvoir observer la nage selon un référentiel géocentré (dont l’origine est fixe et immobile par rapport à la piscine). La lecture de la nage selon ce référentiel pose problème puisque les mouvements segmentaires du nageur ne sont plus lus par rapport à lui mais par rapport à l’espace dans lequel il se déplace. Dans ce référentiel en deux dimensions et dans le plan vertical contenant l’axe de déplacement du nageur, la forme de la trajectoire de la main dans l’espace n’est plus ovale mais cycloïde. Les mouvements des extrémités segmentaires du nageur s’intègrent à son déplacement. Il devient alors possible de distinguer dans l’espace et le temps, au cours d’un cycle de nage, la phase propulsive et la phase de retour. 

Patiemment, individuellement les étudiants décryptent les images, pour répondre aux questions relatives à l’identification et à la quantification spatiale et temporelle des phases d’un cycle de nage. Le mouvement de nage ne doit plus être uniquement lu dans sa forme (attitude mentale spontanée) mais doit être interrogé dans sa fonctionnalité et sa relation à la locomotion. Il s’agit par exemple de comprendre que la phase de «retour» des membres supérieurs ne correspond pas à leur passage aérien, mais intègre des phases aquatiques (la sortie de l’eau après la fin de poussée et l’entrée dans l’eau jusqu’au point le plus avant de la trajectoire aquatique.)

La confrontation des résultats obtenus et des discours tenus dans les ouvrages techniques permet d’identifier des différences de conceptions et de relativiser les discours. Il s’agit ici d’une initiation à l’activité d’observation rigoureuse, d’une action/réflexion à caractère épistémologique. Il s’agit de comprendre les processus mis en jeu dans la construction et la diffusion de connaissances.

Dans cet article, il est impossible d’évoquer la totalité de ma pratique dans sa quotidienneté. La pratique n’est pas totalement transparente à celui qui la met en œuvre. Il faut donc accepter qu’un point de vue partial et subjectif s’affirme. Si les finalités de la formation universitaire sont la construction et le partage des connaissances et des compétences, mon activité de formateur apparaît alors comme un combat. Trois séquences de formation viennent illustrer cette idée. Combat pour la réussite par la construction par et dans la pratique de compétences réelles et avérées pour le plus grand nombre. Combat pour la compréhension rationnelle des phénomènes se manifestant dans l’apprentissage et l’activité de locomotion aquatique. Combat pour relativiser les connaissances par une formation à caractère épistémologique pour comprendre le processus jamais achevé de construction de connaissances et de savoirs par l’observation et l’expérience. Comme on fait semblant naïvement de le croire, à l’université, le rapport des étudiants aux savoirs et aux APS n’est pas spontanément positif, ce rapport est à travailler en permanence. 

Cet article est extrait du Contrepied n°20 numéro « Former des enseignants », 2007

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