Pascal Bordes dénonce la récupération opportuniste d’un véritable besoin de la population sous le vocable de développement personnel. Il conteste du même coup la tentative d’en faire un objectif scolaire conçu comme alternative au sport et à la compétition.
Nous essayons d’analyser les nouvelles formes d’un courant pédagogique centré sur la santé, l’entretien, « le développement personnel». Quel est ton point de vue sur cette réalité ?
Ce courant, dont je doute qu’il soit véritablement pédagogique, ainsi que l’utilisation qu’en font les textes d’accompagnement des programmes de lycées, m’inspire trois réflexions complémentaires.
La première concerne le terme générique utilisé pour regrouper certaines pratiques censées être plus ou moins proches. Selon moi, le « développement personnel » est un concept marketing (voir les pages du Figaro madame, ou les annonces de Psychologies magazine) qui n’a aucune valeur théorique, à l’image, par exemple, du concept de « glisse ».
C’est la récupération opportuniste du discours managéroperformatif nord-américain centré sur l’individu, dont l’objectif de pilotage personnel et d’autonomie dans son existence est totalement, et paradoxalement, encadré sur le plan commercial. À se demander si ce n’est pas l’offre qui crée la demande ! Bref, pour le dire vite, le « développement personnel » c’est avant tout du bizness.
Et la réflexion pédagogique à son sujet vaudrait mieux qu’une récupération subreptice dans des textes d’accompagnement, alors même que la notion n’apparaît pas dans les programmes.
Le développement personnel n’est-il que… personnel ? Peut-on concevoir le développement humain hors du rapport à autrui, hors du social ?
Deuxième point : qu’entend-t-on par APDP (activité physique de développement personnel) ? On nous dit que le point commun est la recherche d’un « état corporel de détente et de concentration ». Mais de très nombreuses activités physiques peuvent répondre à ce critère ; la boxe, les katas des pratiques d’arts martiaux, l’aviron, le roller, le volley, l’escalade, la randonnée, le badminton, le golf, la nage, le cerf-volant, le diabolo… Chacun peut légitimement défendre le fait que « sa » pratique est menée dans un objectif de détente ou de concentration. C’est d’ailleurs ce que soulignent bon nombre d’enquêtes de types sociologique ou psychosociologique. Pourquoi, dès lors, ne retenir que les pratiques de relaxation, musculation, stretching ou course de durée ? En fait, il me semble que le problème vient de ce que l’on associe des pratiques, en effet, singulières, centration sur soi, sur ses sensations, à partir de pauses, de postures, de respirations ou de mouvements lents, au terme « développement ». En quoi ces pratiques participent-elles, plus que d’autres, au développement, au point d’en faire une famille ou catégorie ? La question mérite d’être posée sérieusement.
Troisième remarque. Sentant bien la fragilité d’une telle catégorie, purement psychologique, le législateur nous propose de resserrer encore davantage l’identité de la famille en proposant deux critères de logique interne : l’absence de lutte contre le temps et contre autrui. Là encore, la « gageure » évoquée par les textes n’est pas tenue. Les deux exemples donnés, course de durée et musculation, sont des activités de mesure. Mesure de durée, d’intensité, de charge de travail, du nombre de répétitions, des temps de récupération…
Quant à l’absence de lutte contre autrui, si l’on veut signifier par là que les activités d’opposition interindividuelles sont exclues, on peut en déduire que les activités de coopération ne sont pas rejetées. Pourquoi, dès lors, ne pas accepter les pratiques coopératives ? Si, comme nous le pensons, le terme « personnel » est ici confondu avec « individuel » ou « solitaire », alors, pourquoi ne pas proposer une catégorie « développement social » qui regrouperait les jeux coopératifs centrés sur l’empathie, la compréhension d’autrui, le respect et le partage ? Ces valeurs seraient-elles moins d’actualité ? Ne permettraient-elles pas, elles aussi, pour reprendre les textes : de « devenir un consommateur critique et exigeant du marché de la forme » ?
Cet article a été publié dans le Contrepied n°24 – octobre 2009