Yvon Léziart, professeur d’université, revient sur les transformations qui se sont succédées dans les formations pour comprendre la situation d’aujourd’hui. Une vision de cette évolution « vécue de l’intérieur ». extrait du Contre Pied n°20 d’avril 2007
extrait du Contrepied n°20 – Former les enseignants (avril 2007)
Yvon Léziart, professeur d’université, revient sur les transformations qui se sont succédées dans les formations pour comprendre la situation d’aujourd’hui. Une vision de cette évolution « vécue de l’intérieur » (extrait du Contre-Pied n°20 d’avril 2007).
Les formations des enseignants d’éducation physique et sportive ont connu en une trentaine d’années de profondes modifications. Les effets de démocratisation engagée dans les années cinquante vont frapper l’université de plein fouet vingt ans plus tard. Les Universités voient leurs difficultés décuplées par les arrivées massives d’étudiants d’horizons différents. Des mutations profondes marquent cette période et interrogent la formation. Quels enseignements proposer à un public de plus en plus hétérogène ? Et de manière plus frontale quels enseignements proposer pour des étudiants soucieux de leur avenir professionnel dans un monde de chômage? L’Université contrainte et forcée a du s’adapter à ces nouvelles demandes, renforcées par la pression des ministères et de l’opinion publique.
Les formations universitaires en STAPS intègrent, sans moyens supplémentaires, cet afflux d’étudiants (certaines UFRSTAPS ont doublé leurs effectifs en trois ans). Le choc a été brutal car ces UFR, contrairement aux autres UFR, sélectionnaient jusqu’alors le nombre des étudiants entrants. Les UFRSTAPS vivent donc un double mouvement qui transforme en peu de temps les structures établies : une universitarisation de ses formations et une massification des étudiants en formation. Peut-on considérer que ces transformations à marche forcée, ont modifié positivement les contenus de formation en STAPS ?
Universitarisation accélérée des formations
L’universitarisation des formations doit être étudiée autour de deux axes : les changements de structure des études et les effets de ces transformations sur la formation des étudiants
CREPS, ENSEP : une formation empirique de qualité
Les recherches sur les activités physiques et sportives sont peu nombreuses avant 1970. Les enseignants d’EPS soucieux d’acquérir des compétences universitaires se tournent vers les études médicales, les plus aptes à les accueillir. J. Le Boulch soutient, à titre d’exemple, sa thèse de médecine en 1960. Les travaux se concentrent sur la performance motrice vue par le prisme des fonctions vitales de l’organisme.
Dans les années 1965-1970, les études en éducation physique et sportive offrent aux étudiants une formation scientifique réduite, de l’anatomie et de la physiologie (dont les enseignements sont en général délivrés par la faculté de médecine) et des enseignants de psychologie de l’enfant, une formation pratique et théorique en APSA importante et concrète et une formation professionnelle initiale également développée où l’alternance pratique d’enseignement en face d’élèves et réflexion concrète sur sa pratique s’établit sur les quatre ans des études. Ce niveau de théorisation s’ancre profondément dans la pratique immédiate mais repose sur une identification à un modèle d’enseignement abstrait. La transmission de connaissances consiste alors à .donner à l’étudiant des recettes pour réduire l’écart au modèle. Les stages du CPS de la FSGT offrent à certains enseignants une formation conséquente à l’analyse des pratiques. Ces travaux novateurs vont progressivement intégrer les cursus d’étudiants et donner un statut majeur à la formation professionnelle.
Les lieux de formation sont l’ENSEP, les IREPS et les CREPS qui portent tous dans leur sigle les lettres de EPS.
Les étudiants en EPS (seul débouché possible des études) sont ainsi formés à devenir dès l’obtention du CAPEPS des enseignants efficaces. La formation repose sur un empirisme performant qui se rationalise au fil des ans. A cette étape de formation des étudiants en EPS, la question d’une formation plus complète dans les sciences d’appui s’impose. Le SNEP revendique à juste titre cette universitarisation des formations qui doit permettre, outre la normalisation des formations sur les formations d’enseignants existantes, un gain en approfondissement des connaissances et qualité de formation par une mise en relation constante entre pratiques des APSA, théorisations de celles-ci, approfondissement des connaissances sur l’enseignement des APSA et apports de connaissances scientifiques actualisées sur l’homme en mouvement.
Les UEREPS : transition de l’EPS vers les STAPS
Une première rupture importante survient lors du regroupement des formations à l’Université. Les UEREPS (Unité d’enseignement et de recherche en EPS) sont ainsi créées en 1968. Durant cette période les enseignants assistent à la disparition de l’ENSEP, lieu de formation d’enseignants d’EPS reconnu pour sa qualité et supprimée pour des raisons idéologiques. Une nouvelle ENSEP (1971) naît de ses cendres mais sa mission est de toute autre nature. Elle est censée assurer de manière rapide la formation d’enseignants universitaires. Un certain nombre de professeurs d’éducation physique et sportive choisissent cette voie. A la fin de leurs travaux, ils occupent les premiers postes universitaires ouverts dans notre domaine.
Les universitaires spécialisés en APSA pénètrent ces structures et vont progressivement marquer de leur présence les cursus proposés. Un travail de pionnier les attend. Il faut faire connaître l’UEREPS au sein de l’Université et faire admettre son inscription universitaire. Il faut mettre en place les premières structures de recherche. Il faut également proposer des enseignements nouveaux en rapport avec les thèses soutenues.
La formation maintient le triptyque connaissances scientifiques, connaissances techniques et connaissances professionnelles. Les alternances théorie, pratique sont maintenues dans ces deux derniers domaines et la pratique d’activités physiques et sportives est encore conséquente.
L’étudiant en EPS a toujours comme débouché professionnel majeur le CAPEPS. Les orientations différentes se font par défaut. Les UEREPS cherchent cependant à diversifier leur formation en s’attachant à développer les premières filières management du sport. Ces filières ne prennent pas comme postulat que c’est à partir des compétences de formation acquises qu’il faut investir le management du sport. La démarche choisie tente de s’approprier de nouvelles connaissances en manière de droit du travail, de gestion des entreprises. Dès lors la concurrence avec les écoles de commerce se fait sentir. L’approche du managérat par une bonne maîtrise des APSA est négligée et l’originalité des STAPS en management du sport est gommée. La minoration d’une réflexion sur les APSA se révèle également dans les autres filières ouvertes en STAPS.
Les UFRSTAPS : l’universitarisation des formations et la dispersion des formations professionnelles
Une troisième époque prend effet lors de la transformation des UEREPS en UFRSTAPS en 1987. Les DEUG STAPS existaient depuis 1975. Cette modification de sigle confirme l’aboutissement d’un mécanisme d’universitarisation des lieux de formation en APSA. Le terme EPS disparaît de l’intitulé. Le terme enseignement est remplacé par celui de formation. Ainsi l’enseignement en EPS devient secondaire. Les enseignants universitaires croissent dans les UFR et prennent la responsabilité des maquettes d’enseignement en veillant à ce que leurs enseignements soient essentiels à la formation des étudiants. Ces enseignants, souvent issus de la filière EPS, se démarquent de leurs origines, croyant ainsi permettre une meilleure reconnaissance universitaire des STAPS. Ils se coupent des enseignants d’EPS attachés à la formation au métier qui voient eux, leur pouvoir se restreindre au sein des institutions. La création des IUFM va accélérer ce mouvement. Il va permettre à certaines UFR d’exclure de leurs responsabilités, la formation des étudiants préparant le CAPEPS, en se déchargeant totalement sur les IUFM au lieu de rechercher des synergies. Toutes les positions étant admises à cette époque, quelques UFR ont au contraire revendiqué le maintien en leurs rangs des formations CAPEPS.
Cette évolution s’est accompagnée de la fin de la sélection à l’entrée des UFRSTAPS. Les étudiants se sont alors engouffrés dans ces formations jugées intéressantes. Les effectifs ont triplé en un temps court. Les modèles de formation solidement ancrés dans les UFR ont volé en éclats. Les pratiques d’APSA pour les étudiants ont été profondément réduites voire parfois supprimées. Comment en effet passer d’un enseignement des APSA pour 150 étudiants en première année (1993) à un enseignement pour 900 étudiants (2005)?
Les enseignements d’APSA cessent en fin de licence (après trois ans de formation) alors qu’aucun texte n’exige leur disparition en maîtrise et en master. Les mises en stage en présence d’élèves se sont réduits ou ont disparu. La pré-professionalisation est souvent repoussée aux années de préparation CAPEPS. Dans les faits, les enseignements scientifiques déterminent la réussite ou l’échec dans les études en STAPS.
Ce double mouvement universitarisation des études et entrée massive des étudiants sonne le glas d’une certaine formation au métier d’enseignant dans les UFRSTAPS. Ceux-ci délivrent un enseignement universitaire classique qui minore les aspects de formation professionnelle au contact des étudiants.
Les transformations des modes de formation
En trente ans s’est effectué par conséquence, un changement considérable des modes de formation . A une formation entièrement consacrée aux futurs enseignants a succédé une formation beaucoup plus générale, plus morcelée, plus éloignée des réalités professionnelles.
Analysons les trois dimensions immuables de la formation et leur évolution en trente ans :
– Les connaissances scientifiques :
Elles se sont précisées et diversifiées. A une formation très générale autour des grandes fonctions vitales et des connaissances anatomiques sur le squelette en sciences de la vie et sur les connaissances de base en psychologie de l’enfant, a fait place des enseignements scientifiques approfondis et plus diversifiés. A mesure que se recrutaient des enseignants universitaires, le panel de connaissances, mis au service des étudiants, s’est ouvert. Les étudiants possèdent actuellement une palette de connaissances étendues en sciences de la vie, en mécanique, en physiologie, en anthropologie, en histoire, en psychologie clinique… De plus, les enseignements scientifiques dotent les étudiants de méthodes de construction des connaissances utiles y compris dans leur approche des questions directement professionnelles. Cette ouverture scientifique est un incontestable progrès. Des limites demeurent cependant. Il y a un approfondissement des connaissances scientifiques sans grande prise en compte du milieu particulier que représentent les domaines d’intervention en STAPS. Les étudiants ne réussissent pas à créer de l’unité au travers de cette diversité. A cette difficulté, s’ajoute pour un grand nombre d’étudiants une mise en rapport improbable de ces connaissances à des projets personnels et professionnels. Cette mise en relation est pourtant la seule capable de donner du sens aux enseignements reçus. En l’absence de sens, les études scientifiques se résument à un apprentissage par cœur de certaines connaissances afin d’assurer des notes acceptables aux contrôles. Il est bien connu que des connaissances acquises dans ces conditions sont vites apprises, vite oubliées.
– Les connaissances techniques en APSA.
Elles constituent le cœur de la formation. Les UFRSTAPS ont pour objet déclaré les APSA. Celles-ci sont d’ordre pratique. Certains aujourd’hui souhaitent changer d’appellation et devenir des « faculté des sciences du sport ». Une faculté est un titre prestigieux dans l’université, elle est dirigée par un doyen et non plus par un directeur. Ils conduisent à une dérivation de l’objet de travail de la discipline. On passe des APSA, objet de formation et de recherche à des APSA non plus considérées comme pratiques sociales mais comme domaine d’application de la recherche. Le terme « faculté des sports » est une fausse reconnaissance universitaire. Elle entérine l’idée que les APSA ne sont pas des pratiques culturelles dignes d’être étudiées en tant que telles dans notre université, toujours emprunte d’un dualisme survalorisant la pensée.
Ce faisant, l’étude des APSA perd son statut central dans la formation des étudiants. La massification des études et les difficultés de trouver des lieux de pratique, pour un grand nombre d’étudiants, a réduit le nombre de pratiques enseignées. La grande hétérogénéité des niveaux de pratiques des étudiants a de plus conduit les enseignants spécialistes d’une discipline sportive à sérieusement aménager leurs enseignements. La théorie et la pratique des APSA ont perdu du sens pour les enseignants. Elles apparaissent bien souvent comme lieu ou se testent les connaissances scientifiques (c’est le statut qu’accordent aux APSA certains universitaires) ou comme lieu de pratique appréciée par les étudiants pour leur propre confort ou plaisir. La mise en relation entre ces enseignements et leur éventuelle pratique professionnelle n’est pas jouée pour un grand nombre d’étudiants.
-Les connaissances sur l’acte d’enseignement
Ce domaine de connaissances progresse. Les apports théoriques fournis aux étudiants (sur la connaissance du système éducatif, les institutions scolaires, les théories de l’enseignement, l’intervention) ont laissé en chemin l’empirisme des années 1970. Les progrès en ce domaine sont nets même si l’exigence d’une reconnaissance par les instances scientifiques exige une normalisation des productions. Les travaux sur l’intervention négligent cependant la prise en considération des contenus spécifiques transmis. La didactique des APSA apporte des éléments essentiels pour comprendre les phénomènes de diffusion des savoirs et de leur transmission au sein des classes. Ces connaissances demeurent cependant formelles si elles ne peuvent pas être frottées aux réalités du terrain. La pratique de l’enseignement face à des élèves est actuellement difficile à évaluer dans les UFRSTAPS. Les étudiants rencontrent peu les milieux professionnels et peu de dispositifs de substitution (étude vidéo de séquences d’enseignement par exemple) atténuent cette lacune. Il faut admettre que la formation en présence d’élèves s’est beaucoup dégradée en trente ans. Les étudiants se confrontent plus tardivement à l’enseignement. Ils acquièrent donc moins d’expérience avant leur entrée dans la vie professionnelle.
L’évolution des enseignements dans les UFRSTAPS confirme donc une permanence. Le triptyque de formation enseignements scientifiques, enseignements d’APS, enseignement de préparation professionnelle se maintient mais laisse le plus souvent aux étudiants le choix d’opérer la synthèse entre toutes les connaissances apprises. Ainsi se crée une formation ou les connaissances s‘accumulent sans que la majorité des étudiants arrivent, faute de confrontation régulière au réel, à donner du sens aux données apprises.
De plus, les équilibres entre ses trois composantes se sont sensiblement modifiés. Le poids institutionnel dans la formation est confié aux connaissances scientifiques qui deviennent ainsi le pivot des formations. Les autres dimensions de la formation s’articulent tant bien que mal autour d’elles.
Les changements prioritaires
Si les STAPS veulent préparer aux métiers d’enseignement ou à tout autre métier de transmission de savoirs autour des APSA, les mesures à engager sont multiples. Nous en évoquerons trois parmi celles qui nous paraissent centrales.
Donner du sens aux études
Il s’agit d’engager les étudiants dans un projet de formation. Comment en effet construire un projet qui ne soit pas relié à une mise en perspective professionnelle? En l’absence de cette dimension, un formalisme succède à un autre formalisme sans apports sensibles pour l’étudiant. Sans réforme fondamentale à ce niveau l’Université est condamnée à proposer aux étudiants des enseignements sans doute intéressants mais qu’il faut apprendre et reproduire avec efficacité lors des contrôles.
Donner du sens aux études, c’est proposer aux étudiants de se construire au projet d’études suivi en relation avec un projet professionnel, non pas fantasmé, mais expérimenté et régulé tout au long de la formation.
S’inspirer des formations d’ingénieurs et de médecins
Pour mettre en perspective un projet de ce type il faut augmenter sensiblement la durée des études. Les formations d’ingénieurs ou de médecins confirment à quel point former un professionnel exige du temps et un suivi régulier assuré par un tuteur qualifié. Les attaques incessantes sur la formation des enseignants révèlent en fait le mépris accordé à ces formations. Former un enseignant exige autant de temps et d’investissement que former un ingénieur. Les tâches professionnelles se ressemblent : gérer des relations interindividuelles, proposer des tâches à réaliser à partir de la maîtrise d’un haut niveau de savoirs, effectuer des diagnostics, modifier les tâches proposées, affiner en permanence les connaissances d’appui nécessaires à la bonne maîtrise de son action….Le parallèle est évident et il est aisé d’admettre qu’un enseignant doit être considéré comme un ingénieur en enseignement. Le parallèle avec les médecins est intéressant en ce qui concerne l’intégration des connaissances scientifiques et l’alternance entre théorie et pratique.
Il n’est pas question d’un retour nostalgique au passé. L’évolution des connaissances scientifiques technologiques et pratiques est remarquable. Il s’agit d’utiliser ce potentiel pour former avec sans cesse plus de pertinence les étudiants s’il l’on veut qu’ils deviennent des professionnels accomplissant tout au long de leur vie un enseignement de qualité. Ce potentiel doit être mis au service d’une confrontation aux pratiques de sportif et de futur enseignant. La confrontation au réel garantit l’émergence de questions essentielles pour les étudiants. Il est indispensable d’éviter un éparpillement, particulièrement possible en STAPS, en assurant des liens permanents entre les différents savoirs présentés.
La formation des formateurs
L’évolution des formations en APSA au cours des trente dernières années à inverser le rapport d’influence et de responsabilités au sein des UFR. Les enseignants du second degré ont cédé leurs responsabilités aux enseignants universitaires. Cette évolution logique et normale dans le cadre d’une réelle intégration universitaire se traduit cependant par un phénomène de balancier assez classique lors des changements de responsabilité mais qui inquiète cependant. L’enseignement des APSA a beaucoup souffert des diverses évolutions mentionnées préalablement. Il s’agit actuellement de redonner de l’importance à cet enseignement qui constitue à nos yeux le point d’appui central des enseignements en STAPS. Pour ce faire, plusieurs mesures doivent être envisagées. Il faut, en premier lieu, harmoniser les cadres et méthodes d’analyse des APSA. De trop fortes disparités existent actuellement en ce domaine. Il n’est pas rare en effet de voir une même APSA être présentée de manière fort différente par deux enseignants au sein d’une même UFR. Il est également indispensable que des reconnaissances universitaires se fassent plus massivement pour des travaux analysant les pratiques d’APSA et les pratiques de formation en APSA. Ce type de travaux mené par des experts en APSA équilibrerait sur le plan de la recherche le triptyque sciences, APSA, professionnalisation, favoriserait les dialogues scientifiques et assurerait aux UFRAPS une véritable dimension universitaire.
Pour atteindre cet objectif essentiel il est nécessaire de créer dans les institutions des conditions décentes de mise en recherche des enseignants du second degré en poste dans les UFRAPS ou les IUFM. Ces mesures doivent évidemment s’accompagner de la prise en considération de ces travaux par les instances universitaires et par des créations de postes universitaires.