Christian Couturier, pour le SNEP-FSU lors d’un colloque à Strasbourg sur EPS et santé, à partir d’une approche historique des productions syndicales, revient sur la contribution originale de l’EPS dans une perspective culturelle.
Je vais poser d’emblée, schématiquement, le contexte actuel de l’EPS sur la problématique. Si le passé interroge le présent, on interroge toujours le passé à partir du présent, c’est une lapalissade.
Il y a deux grandes tendances en EPS :
‐ Celles et ceux qui tentent de circonscrire la santé à un enseignement particulier et des APSA particulières. C’est la logique dominante aujourd’hui : santé ‐ > CP5 ‐ > ASDEP (musculation/course longue/step). Le souci affiché est celui de l’efficacité et le « contrôle » de ce qui se fait. Mais c’est plus globalement la logique des « chainages » (G. Klein) qui vont des objectifs aux APSA, qui est est en vogue, avec le risque d’un enfermement pédagogique problématique : santé = course longue. Traduction pratique en EPS : une fois mon cycle fait, je passe à autre chose, une autre finalité.
‐ Celles et ceux qui conçoivent la santé comme étant un objectif distribué dans l’éducation physique dans son ensemble comme par exemple D. Motta (INRP) ou dans la revue EPS (éducation pour la santé par l’EPS n°327 sept ‐ oct 2007). Cette logique renvoie à une vision plus complexe, en phase avec une approche de la santé plus systémique, pluri-factorielle. Mais le risque est alors une dilution ou une dispersion et donc une forme d’invisibilité.
Le SNEP s’inscrit pourtant aujourd’hui explicitement dans cette seconde démarche et juge la première problématique pour l’EPS au plan stratégique et politique, didactique et pédagogique (voir à ce sujet le numéro 24 de Contrepied : Entretien et développement de la personne). Je n’en traiterai pas explicitement ici puisque ça fait partie d’un autre axe du colloque.
Le choix que nous avons fait est de traiter de l’évolution des positions du SNEP sur la santé comme objectif de l’EPS de 1975 à aujourd’hui.
J’ai procédé à une analyse des bulletins syndicaux et publications attenantes (brochures, actes des différents colloques organisés par le SNEP). Je m’en suis tenu strictement à ce matériau qui est consultable et vérifiable par tout le monde, laissant de côté tous les documents et échanges internes.
J’ai suivi, pour ne pas m’écarter trop des normes de colloque de ce type, quelques pistes rigoureuses en matière d’analyse de contenu (Bardin). J’ai interrogé la base documentaire à partir d’une première intuition que j’avais en tant que responsable syndical ayant suivi cette problématique au sein du groupe pédagogique : la question de la santé a eu deux phases dans l’expression et la production du SNEP. Une première phase pendant laquelle cette question n’en est pas une, l’EPS, comme les APSA, visent la santé. C’est constitutif et donc peu ou pas interrogé, c’est une évidence.
Syndicalement, ce n’est pas une préoccupation autre que celle d’en faire un argument pour promouvoir l’EPS. Puis une deuxième phase qui intervient plus en réaction au contexte politique (par exemple en utilisant l’objectif santé pour réorienter l’EPS de sportive à santé…).
Cette deuxième phase se transforme ensuite en position affirmée visant à redéfinir la place de la santé en EPS tout en refusant de réduire l’utilité sociale de l’EPS à ce type d’objectif et de contribution. Une première lecture m’a amené à prendre la borne temporelle de 1975 et établir une périodicité qui va de 75 aux années 90, puis du milieu des années 90 à 2004 (année charnière) et enfin de 2004 à aujourd’hui.
1975 ‐ 1996
Les bases
Pourquoi 1975 ? Parce que le SNEP publie cette année‐là une brochure « L’éducation physique et sportive dans tous les lycées et collèges. Luxe ou nécessité ? ». Ce document marque un premier affichage significatif qui donne à la fois une définition de la santé et un positionnement de l’EPS. Mais j’ai pris aussi ce document en référence parce que, rapporté au débat actuel, il permet de mesurer les évolutions du SNEP et, paradoxalement, le discours extrêmement daté de certains de ses contradicteurs.
Une citation explicite : « Être en bonne santé : si elle dépend des conditions de vie et de travail et du mode d’alimentation, il reste que la résistance à la fatigue, les habitudes d’hygiènes et d’entretien physique, sont des qualités acquises pendant la période de formation. Selon le professeur Plas, spécialiste en cardiologie, président de l’UER d’Education Physique de Paris : A 50 ans on a le cœur que l’on s’est fait à 20 ans ». De plus, une certaine tendance à l’intellectualisation du travail humain renforce la nécessité d’un équilibre de la vie physique pour de nombreuses professions. Mais ces qualités ne sont ni « naturelles » ni « spontanées ». Pour être acquises elles nécessitent une Education particulière ». Puis nous pouvons lire ceci :
Une éducation physique moderne en 1975, qu’est-ce que c’est ?
Il faut d’abord faire la différence avec les autres activités physiques de la vie sociale : « le sport volontaire pratiqué dans un but de performance, les activités physiques de loisirs dans un but de détente, les activités d’entretien dans un but de santé . L’Education Physique et Sportive si elle prépare à ces activités a surtout un but fondamental de formation.
Autrement dit si l’enfant a un besoin normal comme l’adulte, de jeu, de détente, de loisirs, d’hygiène dans sa vie d’enfant, il a besoin en plus, ou plutôt en priorité, d’une éducation physique et sportive systématique comme composante indispensable de la formation générale.
L’activité physique «spontanée» ou naturelle, voire le simple exercice de défoulement, ce n’est pas l’EPS. »
Il en ressort d’abord de cette lecture une vision, que l’on qualifierait aujourd’hui de restreinte, de la santé réduite à du « physique » et au physiologique et par ailleurs une typologie des pratiques qui associe étroitement sport et performance, pratiques physiques et loisir, pratique d’entretien et santé. Cette approche est évidemment contradictoire avec celle que porte actuellement l SNEP.
Par contre, la deuxième affirmation restera un pilier de l’argumentaire syndical : l’EPS a d’abord comme objectif la formation dans les APSA avant d’être « subordonnée » à d’autres visées. Le rapport à la santé changera peu au SNEP dans les années qui suivent et les divers articles qui s’y rapportent ne dépassent pas une ou deux productions par année scolaire.
Même les textes préparatoires aux congrès (ex : n°129 du 3 avril 79) ne mentionnent aucunement la préoccupation santé.
Si on parle de santé dans le bulletin national pendant toute cette période, c’est de la santé des enseignants d’EPS, que j’ai exclu du champ d’investigation pour cet exercice (ça aurait été un sujet intéressant).
A partir de 81, on perçoit une légère augmentation de la production sur le sujet, mais liée plus à la pratique des APS qu’à l’EPS. n° 166 : « L’entrainement intense chez les enfants ». N°177 : « joggons sans crainte » par exemple.
Puis en 82, on commence à rentrer dans l’école : n°187 « Surveillance médicale et EPS », « La prévention des maladies cardio ‐ vasculaires commencent à l’école ». Mais la production reste très marginale et surtout toujours liée à cette vision « organique » de la santé. Et lorsque que l’on rentre dans l’affirmation des bienfaits de l’EPS (bulletin n°191 janv 83 : « Plus et mieux d’EPS pour vos enfants »), si tous les ingrédients d’une vision moderne de la santé sont présents (sur le plan social, psychologique, biologique), alors le mot n’est pas cité.
En 83 toujours il y a un très long article, pour un bulletin syndical, de 5 pages de Paul Goirand, intitulé « L’évolution des activités physiques dans la société d’aujourd’hui » (n°193). Il développe la « fonction sociale des APS ».
D’une certaine manière il donne les ingrédients d’une vision élargie de la santé. Il distingue notamment l’activité physique de formation qui contribue à la « constitution de la force de travail » et à la capacité de sa reproduction, l’activité physique de re‐création, aspect plus psychologique (loisir) et l’AP de rééducation, réinsertion, réhabilitation.
La santé est alors citée, chose nouvelle du moins dans l’argumentaire syndical vu jusqu’à présent, comme un bien social : « fonction de formation, fonction de récréation, fonction de réhabilitation, fonction de création… autant de fonctions sociales qui, si elles ne sont pas sollicitées, organisées, risquent de mettre en cause le potentiel de santé du corps social. » et enchaine : « le corps social a besoin aujourd’hui plus que jamais du développement des APS… ».
En 83 encore (n°197), André Drevon, secrétaire national, renforce cette logique, d’une part en rappelant que la pratique des APS entraine sûrement des économies en matière de santé publique, mais développe surtout l’idée que l’EPS et les APS renvoient à un nouveau mode de vie : « le retour sur le corps n’est pas un simple détour sur soi… au fond, c’est une nouvelle façon de vivre en gestation ». La « reconstitution de la force de travail » est à nouveau citée. Et l’acte de création, dans et par les APS, est aussi pointé comme déterminant : on se crée, on se recrée en pratiquant… Enfin citons cette phrase qui est assez exemplaire de la pensée du moment : « Par rapport au travail, les APS ne jouent pas seulement un rôle de compensation, ou d’un conservatoire d’une motricité en voie de disparition. Elles lui sont nécessaires, car garantes de l’unité culturelle du travailleur. »
On voit que se dessine alors, de façon sans doute plus affirmée qu’auparavant, une vision que je qualifie de « marxiste » des APS et de leur fonction qui intègre la santé :
le travailleur (présent et à venir) et l’activité de production sont le centre de gravité de la réflexion et des enjeux
la santé est sociale
le développement est associé à la culture et l’activité de création et recréation de soi
l’acquisition de nouveaux modes de vie est nécessaire… pour sortir de la crise (titre de l’article : « les APS pour… sortir de la crise » )
Nous avons là, sous une forme certes datée, les principales bases de ce que le SNEP va continuer à développer par la suite.
En 84 le MJS avec le ministère de la santé, lance une campagne sur le thème « bougez‐vous la santé ». Tout en se félicitant de la chose, André Drevon, toujours lui, rappelle (n°218 15 oct 84) : « la pratique des APS ne relève pas d’une simple détente pour un meilleur équilibre du corps et de l’esprit, selon l’expression rétro du ministre de l’EN. C’est une composante de la nouvelle personnalité du travailleur » . Ce qui synthétise ce que nous avons relevé plus haut.
Mais il développe surtout la fonction de l’école, et donc de l’EPS, cette fois‐ci directement et donc par la seule « pratique des APS ».
Il affirme que, dans cette campagne, la fonction de l’école n’est pas de simplement relayer le slogan… « mais pour faire campagne auprès des élèves et avec eux sur toute les dimensions éducatives et culturelles de l’EPS, répondant à une nouvelle donne de la civilisation, intégrant une vision positive de la santé : l’EPS est un besoin actuel et rentable. »
Apparaît dans l’argumentaire une nouvelle idée, celle de la rentabilité. Idée reprise dans un autre article du même numéro du bulletin : « Pour la santé, l’EPS c’est rentable dès la première heure de cours ! » , avec une démonstration de type économique.
En 85, dans le cadre de la préparation du congrès du SNEP, est publié un projet de manifeste pour le progrès de l’EPS (n° 245 dec 85) ou le mot santé n’est toujours pas cité. Il est dit pourtant : « ainsi [grâce à l’EPS] peuvent être développées, de façon harmonieuse, toutes les composantes de la personnalité des jeunes »
Pendant cette période, la seule utilisation explicite de la notion de santé vient donc en réaction, ou en appui (84) à la campagne du MJS. Le SNEP a plutôt tendance à parler en terme de développement, personnel et social. Mais n’est‐ce pas la véritable définition de la santé qui est posée là ?
Dans un document préparatoire au congrès de 88 (n°293) Michel Chaigneau, secrétaire national, propose de définir les problèmes de notre notre discipline à la confluence de quatre grands domaines, dont l’un est « celui des questions de société, intégrant notamment les rapport à l’hygiène de vie et à la santé… » . Pourtant, toujours en 88 a lieu un colloque organisé par le SNEP et rassemblant 600 personnes. Aucune intervention n’est faite sur cette thématique, aucune table ronde, aucun compte‐rendu de pratique. Le titre étant « l’EPS aujourd’hui, ce qui s’enseigne », on peut considérer que la « santé » y est absente (ni le rapport introductif de Michel Chaigneau, ni le rapport de clôture de Jacques Rouyer n’y font allusion) et les mots‐clés sont culture et réussite de tous (pas un mot non plus d’ailleurs dans le précédent colloque de 85 : Contenus et didactique).
A cette étape nous pouvons faire un premier point par rapport à l’évolution du rapport SNEP/santé mais qui le dépasse. A quelques exceptions près, dont Michel Drevon cité précédemment, nous nous trouvons devant un paradoxe qui vit encore aujourd’hui, nous le verrons ultérieurement : dès que l’on parle de santé, la tendance est forte de la ramener à une dimension « physique » (Loizon 2012, cahiers pédagogiques), et lorsque l’on parle vraiment de la conception moderne de la santé, on n’utilise pas le mot, préférant d’autres comme développement, bien‐être… A titre d’exemple, en 1990 le SNEP écrit au Conseil national des programmes pour justifier des 3 heures en lycée (n°361) : « (titre : EPS pour tous, pourquoi ?) pour des raisons d’équilibre personnel et d’activation du système cardio‐pulmonaire … pour des raisons liées à la maitrise de sa propre santé, cet enseignement a un intérêt majeur car il permet toute sa vie de gérer sa condition physique, de développer ses qualités organiques et musculaires, des habiletés, la connaissance des effets de l’entrainement physique régulier sur l’organisme devant l’effort physique ».
Une nouvelle incursion explicite dans le champ de la santé se fait en 96 (n°515), pas par l’EPS mais par la nutrition, suite à un rapport de l’inspection générale sur la fréquentation des cantines scolaire.
Quand on fait le bilan de 75 au milieu des années 90, on voit que la production sur ce sujet est très restreinte, voire, comparée au volume de production des bulletins nationaux, particulièrement insignifiante : ce n’est pas un cheval de bataille du SNEP, plutôt un argumentaire opportuniste pour mieux « vendre » l’EPS. Pour autant, les préoccupations rapportées à une définition moderne de la santé sont présentes, mais enchâssées dans le champ large de « la culture ».
1996 ‐ 2004 : flottement opportuniste ?!
En 96, lors de son colloque de Creteil (600 personnes présentes), le SNEP inscrit pour la première fois la question de la santé dans ses réflexions. Dans une séquence appelée « les brûlures de l’EPS », Daniel Motta (INRP) et Fabienne Raimbault, enseignante d’EPS abordent fondamentalement la question. On peut s’étonner d’avoir mis ce sujet dans les points chauds de l’EPS (les brûlures…) alors que, comme nous l’avons vu, on ne peut pas dire que c’était un problème central pour le SNEP. Le titre de l’intervention : EPS = L’Education Pour la Santé ? laisse aussi présager de débats compliqués ultérieurs (sur le remplacement possible du S). Pourtant l’intervention rentre dans le cadre des idées développées par le SNEP en montrant que nous sommes encore loin de la définition intégratrice de l’OMS, avec une EPS abordant la notion sous l’angle de l’entretien et de la condition physique. L’article s’appuie notamment sur une forte critique de la situation des USA qui réduisent santé et EPS à la condition physique et au fitness et développe l’idée d’une éducation pour la santé à partir de l’exemple d’un travail interdisciplinaire sur « prévention SIDA ».
En 1997, le SNEP s’engage dans une campagne d’opinion pour l’EPS. Dans son article (n°538) de présentation, Michel Fouquet, secrétaire national, affiche la volonté de l’ensemble de la FSU de contribuer à la construction de « l’Ecole équilibrée du savoir et de la santé, de la culture et de la réussite diversifiée de tous les futurs citoyens » . L’article ne développe rien de particulier sur la santé.
En 98 pour la seconde fois, le SNEP évoque non plus seulement la santé, mais l’éducation à la santé, par le biais d’une interview de Béatrice Sandrin ‐ Berthon, médecin et membre du comité français d’éducation pour la santé. Cette interview reste marginale dans la production du moment. Je l’ai relevé parce que au détour d’une phrase, on voit poindre un débat de nature idéologique que l’on pourra retrouver ultérieurement : « il me semble qu’il y a quelque chose d’intéressant dans l’évolution de la discipline elle‐même : on est dans une approche de l’EPS à l’école pour permettre à l’enfant de s’épanouir plutôt que la performance absolument. » Autrement dit ce médecin aborde un sujet qui fait apparaître une opposition qui va se développer entre épanouissement et performance.
La « campagne » du SNEP prend de l’ampleur. Le SNEP produira un dépliant en 1999 : « EPS et sport scolaire, un rythme essentiel dans les études des jeunes ». Pour la première fois, une page complète est consacrée à la santé : « l’EPS contribue à la santé ». Cette page révèle parfaitement le constat que je faisais précédemment : lorsqu’on parle vraiment de la santé on a du mal à sortir de son versant physique.
Dans la foulée, un appel est lancé et sera signé par un ensemble personnalités du monde sportif, artistique, syndical…
Rien de bien notable ensuite jusqu’en 2004. Le colloque de 2000 du SNEP n’effleure la question de la santé que sous l’angle des finalités. Aucun débat n’y est consacré spécifiquement.
2004 ‐ 2012 : vers une conception culturelle
2004 constitue sans doute une année charnière. C’est finalement le politique (importance donc du thème de l’axe 3 sur les « contextes ») qui « oblige » d’une certaine façon le SNEP à se repositionner. D’abord de façon que l’on peut qualifier d’opportuniste, pour encore et encore défendre la place de l’EPS, puis, dans la suite, d’une façon plus fondamentale en cherchant à donner du contenu et constituant une « théorie » syndicale sur le sujet.
F. Fillon donne les premiers éléments de ce qui constituera le « socle commun ». Dans ce qui est reconnu comment fondamental, on y trouve aucun élément qui se rapporte de près ou de loin à la culture physique sportive et artistique. Le SNEP lance un appel contre le risque de marginalisation de l’EPS. Il explique que cette marginalisation « … Ce serait dramatique alors que les bilans concernant la santé des jeunes, la progression de l’obésité, les inégalités d’accès à la culture corporelle, sportive et artistique (et particulièrement celle des filles) sont aujourd’hui alarmants. Tout le monde, jusqu’à aujourd’hui, s’accordait à reconnaître à l’EPS et au sport scolaire un rôle irremplaçable dans le développement complet des jeunes… » . N°727
On voit, à nouveau, que lorsque qu’on cite la santé, c’est en négatif (la mauvaise santé, l’obésité…) et que lorsque l’on parle en positif, une nouvelle fois, on parle de développement. L’effervescence autour du socle commun induit, au delà du SNEP, des comportements de défense compréhensibles qui cherchent à ancrer l’EPS sur une utilité sociale incontestable. La santé en fait partie. Le SNEP n’échappe pas dans un premier temps à cette règle.
Mais par la suite, il s’agit de mieux préciser la position syndicale et sa façon d’appréhender ce sujet, à partir de sa position fondamentale sur l’approche culturelle (ou historico‐culturelle) des choses.
De ce point de vue, l’article paru dans le n°708 du 3 février 2004 est révélateur, voire fondateur. Dans la démarche il s’agit de l’aboutissement d’un travail collectif, et sur le fond, d’une tentative de répondre aux différentes critiques émises : utilitarisme, santé vue sous l’angle trop biologisant… L’article pose donc les base d’une approche culturelle de la santé et de ses rapports avec l’EPS. Ce travail débouchera lors du congrès de la même année (bulletin n°727 ‐ 30 déc 2004) sur un nouvel appel et une intervention en séance plénière du professeur Tubiana, membre de l’académie des sciences (modalité assez rare pour un congrès du SNEP) qui rappelle par exemple :
« Comme l’a rappelé l’OMS, dans la charte d’Ottawa (1985), la santé n’est pas un but en soi mais un moyen essentiel pour s’épanouir, pour se réaliser, pour s’adapter à son environnement et s’accomplir, pour être utile aux autres. »
Cette phrase prononcée par le Professeur Toubiana répond d’une certaine manière au malaise exprimé par le SNEP sur la santé et son « traitement » en EPS notamment dans le cadre de la CP5 avec les différents buts ou projets santé. Car, justement, la santé n’est pas un but en soi…
La période qui va de 2004 à nos jours ne fait que rejouer, en peaufinant le fond théorique, la même partition (n° 792, mai 2008 spécial programmes, N°823, 2009).
En résumé, le travail fait en 84 a amené le SNEP à rechercher une assise plus théorique à « l’intuition » constituée historiquement et qui repose sur 3 piliers
L’EPS doit d’abord viser ses objectifs propres, spécifiques, originaux avant de s’inféoder à d’autres. C’est par ailleurs le bilan que fait aussi Alain Hébrard dans la revue Contrepied de sept 2011.
La santé n’est pas un but en soi, mais un moyen de se développer
Si l’on veut aborder la santé de façon moderne, alors les réflexions de Y. Clot, reprenant lui ‐ même Canguilhem (Contrepied n° 24), paraissent les plus prometteuses : « Être en bonne santé c’est donc pouvoir re ‐ créer du milieu. La santé est du coup un phénomène éminemment culturel » .
Et la finalité est le développement de la personne, qui ne peut être la gestion d’un stock de compétences ou de capacités qu’on emmagasinerait : santé, culture et développement sont fortement liés à la création et la récréation.
Conclusion ?
Pour terminer ce survol, nous pourrions en rester sur cette diapositive qui est assez parlante. Mais en quelques mots :
‐ Le positionnement syndical a évolué en fonction du contexte, en particulier politique. On aurait pu aussi par exemple citer le passage du sport d’un ministère à la tutelle de la santé… ou du débat récurrent que constituent les rythmes scolaires : sous couvert de santé, c’est souvent autre chose que l’on veut régler : la place du sport ou les horaires de travail des enseignants
‐ La position qui a aussi évolué en fonction des apports théoriques : en 74/75 ce sont des cardiologues qui sont cités, en 2012 c’est principalement Yves Clot (psychologue du travail) ‐ Santé/culture/développement forment une trilogie dans lequel le couple culture/développement est le cœur de la dynamique, la santé restant en marge. ‐ La position syndicale a un souci lui aussi récurrent, « épistémologique » et politique vis ‐ à ‐ vis de toute orientation qui détournerait l’EPS de sa fonction spécifique : acculturation des jeunes dans le champ des APSA.
‐ Les problématiques EPS/santé sont dépendantes de celles APSA/santé : en masse, c’est plus la question du rapport APSA/santé qui est évoqué.
Cette dernière affirmation nous amènerait dans l’axe 2 du colloque : La santé en EPS se définit dans une culture physique particulière. Quelle serait cette culture physique particulière ?
Qu’est‐ce qu’une culture physique particulière ? Celle‐ci, contrairement aux annonces jugées évidentes sur les « mobiles » n’est pas vraiment identifiable au plan des pratiques sociales : l’eurobaromètre (CE) montre que pratiquement 70% les gens disent pratiquer un sport ou une AP dans un souci de santé, et pour plus de 50% c’est la forme ! C’est donc majoritairement l’objectif de toute pratique physique, dont le sport. 70% des clubs (lettre de l’économie du sport) disent avoir des actions pour la santé. Que faire de plus ? Arriver à 100% ?
A l’école, si on est sur l’éducation à la santé, 90 % des établissements scolaires (enquête DEPP) ont une politique et des initiatives d’éducation à la santé. Là encore, on peut arriver à 100% et améliorer les dispositifs, mais c’est déjà pas mal.
En EPS ? Je voudrais terminer en prônant un peu de modestie par rapport au phénomène complexe de la santé, comme problème social (et donc individuel). D’abord rappelons des choses tangibles : augmenter sensiblement le temps consacré à l’EPS (donc à la pratique), dans de bons équipements, aurait surement un plus gros impact que la politique « CP5 » actuelle. Volume horaire et installations font partie des combats historiques du SNEP.
Ensuite, il faut, et ça se fait autant en cours que par des expériences interdisciplinaires, apporter des connaissances pour comprendre, se comprendre, dans toutes les APSA.
Or il y a un lien étroit, relevé par les enquêtes, entre les pratiquants férus d’entrainement autonome, en particulier en course à pied et en vélo, et le niveau de culture. La prédiction pour pratiquer une ou plusieurs activités tout au long de la vie est corrélé au niveau de diplôme : agir pour des pratiques du plus grand nombre consiste d’abord à augmenter le niveau global de connaissances d’une classe d’âge. Enfin, une constante relevée par tous : une autre corrélation très forte a été établie entre la « mauvaise » santé et les milieux socio ‐ économiques pauvres.
Lutter pour la santé c’est d’abord lutter contre les inégalités et la pauvreté.
Lutter efficacement pour la santé ?
N’oublions pas, encore, qu’actuellement il y a à l’école 1 médecin scolaire pour 7900 élèves…. et les infirmières et assistantes sociales sont en nombre également largement insuffisant.
Si la santé, comme je l’ai rappelé, n’est pas un but, mais un moyen pour se développer, alors développons les moyens pour la santé de façon conséquente… et l’EPS pourra jouer pleinement son rôle de faire rentrer chacun dans la culture physique sportive et artistique, et de l’amener le plus loin possible.