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Pour le numéro spécial « EPS et culturalisme » (2018), nous avons questionné Jean-Yves Rochex, Professeur des Universités au département des sciences de l’éducation de l’Université Paris 8. Il centre ses recherches sur les politiques d’éducation et de lutte contre les inégalités scolaires. Spécialiste de Wallon et de Vygotski, il suit avec intérêt les recherches sur les APSA et l’EPS. Il défend l’idée selon laquelle « L’appropriation des techniques restructure les conduites et le développement de l’enfant dans un processus qui va du social au développement psychique ».

La recherche d’un résultat optimal peut être envisagée à l’école, soit par rapport à l’élève lui-même – c’est le dépassement de soi – soit par rapport aux autres et c’est alors la comparaison qui prend le dessus. Les deux peuvent être envisagés conjointement. Cette recherche de résultat optimal peut se révéler, comme chacun sait, la meilleure ou la pire des choses. Elias a montré que le sport est une euphémisation de la violence. Cette pacification des violences entre individus passe par la détermination de règles communes admises. La fonction sociale du sport est d’imposer l’acceptation des règles de fonctionnement de la compétition. Il s’agit donc de contrôler de manière importante et efficace le respect par tous des règles communes. En ce sens, le sport est un vecteur de socialisation. La concurrence non contrôlée de tous contre tous conduit à la guerre. Les critiques formulées aux dérives de la compétition exacerbée sont nécessaires. La compétition pénétrée par les logiques financières conduit à la surdétermination de l’économique et des enjeux financiers, au narcissisme et au nationalisme et non au développement de l’enfant et de la personne. L’école se porte garante du développement des élèves. Elle doit donc utiliser la recherche du résultat optimal des élèves dans l’ensemble d’une démarche visant à l’accomplissement de ceux-ci. Cette confrontation du résultat optimal se vit à titre personnel mais également dans un rapport à autrui. La rivalité valorise la confrontation au service des rapports de pouvoir des uns sur les autres. Pour éviter cette dérive fréquente, y compris à l’école, il faut penser des situations de comparaison, d’émulation, dans la recherche de la performance optimale mais aussi des situations de coopération. Wallon écrit à ce sujet « Il faut que l’enfant accepte que les autres deviennent les arbitres de ses défaillances et de ses exploits ». Il s’agit donc de penser le développement de chaque individu et le développement de tous dans un rapport de groupe et d’individu. La classe peut hélas être le théâtre d’une exacerbation des enjeux de rivalité valorisée par la compétition, le classement, aux dépens de la performance de tous. Cette survalorisation de la compétition individuelle à l’école trouve au sein de l’école, son contraire. C’est le déni de la performance. Cette dimension est surtout sensible dans les petites classes mais se manifeste sans doute en éducation physique au collège et au lycée. L’école est traversée par une idéologie qui ne trouve d’ailleurs pas toujours correspondance dans les pratiques. Elle peut être qualifiée de « puérocentriste » et de « biologisante ». Cette idéologie laisse à penser que le commun, ce qui est accessible à tous, freine le développement des enfants. Il faut donc rechercher le développement individuel de chacun dans le bien-être et l’accomplissement de soi, sans entraves. Ce discours dévalorise la compétition, la performance, l’épreuve, l’effort, la fatigue, les normes au profit de libres choix par les élèves. Un discours sur les aspects néfastes de la fatigue à l’école réapparaît d’ailleurs avec la question des rythmes scolaires. Il faut défendre l’idée que c’est bien et bon d’être fatigué. Il y a une satisfaction à la fatigue consécutive à la réalisation de soi dans une activité. Il y a de belles fatigues.

Ce discours tenu à l’école par certains n’est pas mis en pratique. Au contraire, les pourfendeurs de la fatigue sont souvent les premiers à rechercher, pour leurs enfants des pratiques de scolarisation, les plaçant dans la meilleure situation pour aborder la compétition d’individu contre individu. En fait, l’école est souvent le lieu d’une idéologie où la contradiction entre une fraternité d’individus les uns à côté des autres, pour laquelle le tout commun est une menace ou frein au développement de chacun, et la logique de la concurrence exacerbée, est constamment présente. Il existe donc une opposition ou plutôt un balancement entre la logique du « frère individualisé » et le développement optimal et concurrentiel de l’individu. C’est le balancement entre la logique du frère sans rien de commun et la logique de l’individu qui n’a de commun que la concurrence.

Le dépassement de cette alternative (refus de la comparaison ou valorisation de la performance individuelle) passe par une maîtrise scolaire constante de la dialectique émulation/coopération

Article paru dans Contrepied EPS et Culturalisme – HS n°20/21 – Mai 2018

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