Temps de lecture : 11 mn.

Si ce dossier se veut une première approche critique de l’introduction du Yoga en EPS, il est important de questionner les pratiques. Même si elles sont aujourd’hui faibles au plan quantitatif, nous avons voulu interroger des collègues qui enseignent ou interviennent dans des formations pour enseignants. Il nous fallait capter, pour les partager, ce qui semble des solutions didactiques et pédagogiques reconnues comme valides, tout au moins provisoirement, et en tirer les grandes lignes.

Sur sollicitation de notre part, certaines académies, par le réseau militant, nous ont donné le contact de collègues qui pouvaient répondre à nos questions. Par ailleurs, et de façon tout aussi informelle, nous avons aussi questionné des collègues, non spécialistes, lors de stages syndicaux, sur ce qu’ils pensaient du yoga.

La synthèse des discussions qui suit n’a pas la prétention de couvrir tout ce qui se fait, ni d’être totalement objective.

Des réticences spontanées de la profession

A travers ces discussions auprès des collègues, il ressort une forte réticence à cette introduction du Yoga comme APSA « à part entière » mais aussi « entièrement à part ». Bien entendu on peut considérer qu’il subit les mêmes résistances que toute nouvelle activité qui ferait l’objet d’une forte publicité institutionnelle. En fait les collègues se posent les mêmes questions que celles que nous avons posées tout au long de ce dossier. 

Si certains refusent tout net de s’y lancer, d’autres « pourquoi pas » surgissent malgré tout, sous condition d’une formation adéquate, nous y reviendrons. Nous avons cependant relevé plusieurs points, dont certains ont déjà été évoqués dans les précédents articles, qui peuvent être considérés comme des problèmes voire des obstacles. 

  • Le premier tourne autour de la crainte d’être en délicatesse avec la laïcité. Ce qui signifie par contrecoup que la représentation majoritaire du Yoga est d’essence religieuse pour certains collègues 
  • Le second s’appuie sur la difficulté de se faire une image de ce que pourrait donner un cycle complet de yoga (en lycée ça peut aller de 6 à 10 semaines de 1h30 ou 1h45). Comment faire un choix dans la multiplicité des « courants » ? 
  • Le troisième est de nature plus pédagogique, notamment liée à l’incapacité des enseignants à se sentir crédibles, mais aussi, par exemple, à démontrer une posture si besoin, à corriger les élèves si l’on ne sait pas soi-même… certes ces problèmes existent également dans d’autres APSA (nous savons par exemple qu’un des freins à l’enseignement du foot à l’école est la crainte d’avoir quantité d’élèves meilleurs que le prof…). La démonstration par le prof est pourtant un moyen plus rapide d’explication de ce qu’il y a à faire qu’un long discours ou même qu’une vidéo (cette dernière étant par définition en 2 dimensions et non 3). 
  • Le quatrième est le manque de formation. Nous l’avons évoqué, c’est aussi un sujet qui concerne toutes les APSA. Les réformes récentes de la formation initiale, qui se sont traduites pas une dégradation, n’arrangent rien. Mais si les collègues peuvent se sentir moins gênés par une faible formation en badminton par exemple, dans d’autres APSA, le Yoga en fait partie, ils sont plus inquiets. C’est un constat, pas une justification.
  • Enfin, le dernier problème est celui de l’évaluation et encore plus la certification. Comment noter ? Visiblement le cadre proposé par l’institution ne convient pas vraiment…

Si certains refusent tout net de s’y lancer, d’autres « pourquoi pas » surgissent malgré tout, sous condition d’une formation adéquate …

Ces quelques points ont servi de trame pour l’échange avec les collègues spécialistes (nous en avons contacté une dizaine dans différentes académies, dont deux enseignent à l’université, en SUAPS et en STAPS). Leurs témoignages sont à la fois instruits, enthousiastes et prudents.

Un yoga laïque

La réponse des spécialistes interrogés est unanime. Le yoga n’est pas du tout abordé sous un angle susceptible de poser des problèmes à l’École dans sa définition républicaine et laïque. Tout ce qui a rapport d’une façon large au « spirituel » est a priori écarté, sauf d’après une collègue, si les élèves posent des questions, auquel cas un retour sur l’histoire peut se faire. Pour des élèves de lycée, ça se conçoit aisément. 

Une autre façon d’aborder ce sujet sans tomber dans des propos incompatibles avec le service public, est de concevoir le yoga à la fois comme une méthode et un état d’être. C’est-à-dire d’y voir une discipline de vie centrée sur le rapport à soi et à la connaissance de soi. Le « spirituel » ainsi conçu (voir aussi l’article de B. Hilton à ce sujet) devient une réflexion sur l’étape de sa vie dans laquelle on est. 

Au bout du compte l’ensemble des collègues interrogés s’accordent sur l’accent mis sur les « ressentis », sur cette « connaissance de soi » qui fait partie de ce qui doit être transmis. Concrètement, un yoga « laïque », le terme a été utilisé, et occidental. 

Mais si la représentation spontanée de nombre des enseignants sur le yoga est liée à son histoire, son origine et son ancrage spirituel et religieux, ce qui domine malgré tout, et qui est commun, c’est la place des postures. Le yoga, image majoritaire nous semble t-il, c’est la pratique de postures plus ou moins complexes qu’il faut tenir plus ou moins longtemps. Et sur ce plan, les collègues spécialistes interrogés ne contredisent pas cette image, en proposant le travail sur les postures comme un axe didactique et pédagogique important, même si parfois le discours peut sembler contredire cette démarche.

Quels contenus ?

Le risque est pointé : le yoga ne doit pas devenir une sorte de gymnastique où la difficulté des postures, leur enchaînement, servirait de repère. Pourtant, dans les faits, la partie centrale des propositions de cycles tourne autour des postures. D’un point de vue anthropologique, ce n’est pas aberrant. Dans pratiquement tous les « courants » principaux du yoga, les postures sont la matérialisation technique de ce qui est visé : contrôle de soi, de sa respiration, de son équilibre, des tensions musculaires antagonistes, de sa concentration… réaliser une posture, correctement, la tenir, l’enchaîner avec d’autres sans heurt et sans difficulté, impose en effet un apprentissage long qui impacte nécessairement ses capacités physiques et mentales. Bien entendu, on peut arriver à des résultats similaires avec d’autres activités mais le yoga présente un patrimoine conséquent, élaboré et sophistiqué, dans lequel on peut puiser. 

Il faudra opérer une transposition didactique, évidemment. Comme le souligne une collègue « transposer ne signifie pas réduire mais adapter au niveau des élèves ». 

Tous les spécialistes interrogés parlent du travail considérable pour choisir et adapter la quantité impressionnante de postures possibles, en fonction du choix fait par l’enseignant·e : statique, dynamique, enchaînement… Certains sites académiques mettent à disposition de la profession un travail élaboré par quelques collègues spécialistes. Ce travail sur les postures représente finalement la garantie « physique » du travail en EPS, quelle que soit la façon dont les collègues en parlent. A partir des entretiens nous avons pu voir que la pratique personnelle des enseignant·es, leur ancrage dans un « courant » ou au contraire la volonté des « piocher » dans les différentes pratiques culturelles, introduit des variations dans la façon d’enseigner. On pourrait dire que chacun, chacune a son « style », mais que leur « genre » professionnel est, à cette étape, assez stabilisé autour de ce travail sur les postures. Finalement, et encore une fois au-delà du discours ou la façon de le présenter, le yoga n’échappe pas au travail « technique » en EPS. 

La deuxième chose (liée à la première) sur laquelle tous les spécialistes insistent, c’est la question de la respiration. C’est un point commun avec beaucoup de techniques de relaxation ou de gymnastiques dites « douces ». On connaît l’importance de ce travail sur l’équilibre général du corps, son influence sur le rythme cardiaque, sur les sensations d’apaisement ou au contraire d’excitation, et in fine sur le mental. Les postures du yoga imposent un contrôle de la respiration, non seulement pour arriver à les réaliser et les tenir un certain temps ou les enchaîner. 

Lorsqu’on lit de nombreux écrits liés au Yoga, on décèle une subtilité qui pourra surprendre nombre de profanes. La notion de souffle est utilisée et n’est pas synonyme de respiration. Le souffle, outre le fait qu’il constitue un courant à part entière du Yoga, est liée à une autre notion, celle d’énergie. Notion beaucoup plus abstraite et insaisissable pour nombre d’entre nous, dont l’enseignement, et donc la didactisation, sera sans doute difficile à appréhender. Mais retenons que le travail sur la respiration fait nécessairement partie du « kit de base » de l’enseignement du Yoga, dans la société comme à l’École.

Le troisième point constitutif de cet enseignement tourne autour de la transmission ce qu’on pourrait appeler une technique réflexive auto-centrée. Dans les discussions avec les spécialistes, le spectre qui couvre cette notion est assez large. On va d’une réflexion sur sa vie (à quelle étape j’en suis, où est-ce que je veux aller…) à la prise de conscience des sensations les plus fines dans la réalisation des postures ou des enchaînements. A noter que cette démarche implique de la part de l’enseignant-e du « sur mesure » puisque chaque élève est singulier. Ce n’est pas vraiment compatible avec le nombre d’élèves par classe qui augmente régulièrement. 

Une évaluation/notation problématique

Parmi les problèmes récurrents en lycée, il y a bien sûr la notation, que ce soit pour le BAC avec la certification, ou pour les autres classes. Dès la seconde, les notes et les bulletins scolaires jouent un rôle important et, dans pratiquement 100% des lycées, il n’est pas question de ne pas noter et de faire reposer l’évaluation sur d’autres modalités. Dès lors, le Yoga devra être noté s’il est proposé comme activité à part entière, c’est-à-dire lors d’un cycle qui peut aller de 6 à 10 semaines. C’est une des raisons qui font dire à certains collègues qu’il vaudrait mieux commencer à l’introduire à l’occasion d’autres APSA, pour démarrer la séance ou la conclure (échauffement, mise en activité et/ou retour au calme/relaxation).

Pour l’instant, parmi toutes les personnes interrogées, aucune n’a été confrontée directement à la certification au BAC. Mais il faut aussi dire qu’aucune n’a été confrontée à une classe « lambda » de lycée, mais plutôt à l’AS, à des groupes « EPS adaptée », ou encore à de très bonnes classes pour expérimenter. Donc pour l’instant, il est difficile de se faire une idée plus précise sur ce que ça donnera à court ou moyen terme.

Il ressort malgré tout un refus partagé de noter la « performance » (établir la notation sur la difficulté des postures) : « le yoga c’est pas de la gym ». 

Il ressort un refus partagé de noter la « performance » (établir la notation sur la difficulté des postures) : « le yoga c’est pas de la gym ». 

Mais, hormis les propositions qui se calent sur le cadre institutionnel (nous n’y revenons pas ici dans sa logique globale que nous dénonçons par ailleurs), la discussion sur les modalités de l’évaluation/notation ne permet pas d’identifier une tendance majoritaire. On retrouve cependant des critères qui vont de la prise en compte de l’engagement, la concentration, la respiration… à la réalisation de postures, enchaînées et la réalisation « technique » (alignements, positions des mains et pieds…). Avec des points de vue assez divergents selon les personnes interrogées : adoption du cadre institutionnel, refus de noter par « AFL », et même : « Yoga et notation, c’est antinomique ».

A ce stade, on peut penser que nous n’avons ni le recul suffisant, ni une masse critique permettant de valider ou invalider telle ou telle proposition. Mais si on prend en compte ce que nous avons dit précédemment sur les contenus, il serait assez logique de se baser sur les éléments communs qui ressortent et de prendre en compte, si tant est que ça soit possible : – la partie technique liée aux postures et à leur enchaînement, 

  • le contrôle de la respiration, 
  • et la capacité d’auto-analyse. 

Mais il faudra y revenir si l’enseignement du Yoga se massifie.

La formation des enseignants

Dernier point abordé dans le cadre de cette courte réflexion, celui de la formation. Tous les contacts que nous avons eu sont des personnes engagé-es dans la pratique depuis longtemps, une dizaine d’année ou plus, qui continuent bien évidemment à pratiquer, et qui sont passé-es par une formation (ou bien la formation est en cours). Apparemment les formations en yoga, pour l’enseigner, vont de 200 heures à 500 heures. Certaines vont jusqu’à 900 heures. Il faut savoir cependant que le yoga n’est pas une activité réglementée et que par conséquent avoir un diplôme n’est pas juridiquement nécessaire (d’où un certain nombre de charlatans, ici comme ailleurs…). Notons aussi que ces formations sont relativement chères et dispensées par des organismes privés ou associatifs, et qu’elles se font dans un des courants du yoga : il faut choisir…

Mais tous·tes les collègues interrogés revendiquent une formation. Naturellement, ils ou elles ne conçoivent pas que les enseignant·es ne bénéficient pas une formation continue adéquate pour se lancer dans cette pratique. Ceci peut paraître évident, mais ça ne l’est pas plus. La formation continue pour les enseignants d’EPS est inexistante dans les APSA dans la quasi-totalité des académies. Impossible d’obtenir un stage sur une APSA quelconque pour se perfectionner. Le terme APSA est banni des intitulés, car pour nombre d’IPR, là n’est pas le problème. Ce qui a fait la force professionnelle de la profession était sa capacité, par la FPC, à devenir de plus en plus pertinente : une APSA non maîtrisée, c’est comme un prof de maths qui n’en maîtriserait pas les notions fondamentales.

Une APSA non maîtrisée, c’est comme un prof de maths qui n’en maîtriserait pas les notions fondamentales

La danse et les arts du cirque ont pu bénéficier de quelques dérogations à cette règle, notamment en proposant des intitulés plus généraux du type : enseigner le processus de création artistique. Situation absurde, comme si proposer « Comment aborder un cycle de Danse » avait quelque chose de honteux. On imagine donc que le Yoga devra s’inscrire dans la même logique. Nous le regrettons évidemment. 

Dans tous les cas, l’introduction du yoga doit s’accompagner d’un plan de formation continue pour que chaque enseignant-e qui le souhaite puisse avoir une formation raisonnable.

Pour la formation initiale des enseignant·es, c’est simple, elle est, on peut le dire, pratiquement inexistante. Il existe de la formation en STAPS pour les filières APA, sans doute pour proposer un Yoga « thérapeutique ». Il est probable qu’il existe aussi quelques modules ici ou là quelques modules sur le yoga en licence.  Mais à notre connaissance quasiment rien dans les INSPE. Il faut dire que globalement les pratiques physiques quelle qu’elles soient, ont été sacrifiées sur l’autel des différentes réformes successives. Donc a fortiori les « nouvelles » activités.

Bref, nous sommes face à la quadrature du cercle. Comment développer le yoga en milieu scolaire, et avec un enseignement de qualité, si telle est la volonté, sans formation à la hauteur de l’ambition ? Aucune chance.

Comment développer le yoga en milieu scolaire, et avec un enseignement de qualité, si telle est la volonté, sans formation à la hauteur de l’ambition ? Aucune chance.

Quel avenir ?

Ce premier survol des pratiques n’a pas la prétention d’être exhaustif, même si nous pensons qu’il reflète pas mal la réalité à cet instant. Il demande à être nuancé, complété, discuté. Sans doute existe-t-il d’autres expériences que celles relatées ici ? Il nous faudra des témoignages et des propositions plus massives pour confirmer ou infirmer ce que nous avons pu synthétiser. Nous invitons celles et ceux que le sujet intéresse, ou qui font faire du yoga dans le cadre de l’EPS, à nous envoyer leurs témoignages et analyses. Nous sommes particulièrement demandeurs d’expériences avec : des classes entières en lycée, des classes « difficiles », avec des élèves non volontaires, ce qui est un contexte assez courant sommes toutes. Une question parait déterminante : à qui va s’adresser le yoga, quels sont les élèves qui vont en bénéficier ?

Ces articles pourraient vous intèresser

Un commentaire ? Exprimez-vous !